Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/323

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laisserais pas s’en aller à une pareille heure ; je lui pris la main et je la conduisis à sa chambre ; mais j’eus soin de fermer à clef les portes de la maison. Mais ce matin elle était partie.

— Et vous ne savez ce qu’elle est devenue ?

— Non ; je la cherche depuis ce matin. Il faut qu’elle se soit éloignée de très-bonne heure et en cachette. Je n’ai rien découvert qui pût me mettre sur ses traces dans les environs.

— Attendez ! dit Clennam, après un moment de réflexion. Vous désirez la voir ? Je le présume, du moins.

— Oui, certainement ; je veux lui donner encore une chance ; Mère et Chérie veulent lui donner encore une chance. Allons ! je vois bien que vous-même, Clennam, vous voudriez laisser une chance à cette pauvre fille si passionnée, reprit M. Meagles d’un ton persuasif, comme si ce n’était pas lui qui eût le droit de se croire offensé par la conduite de Tattycoram.

— Ce serait bien étrange et bien dur de ma part de penser autrement, répliqua Clennam, lorsque vous et votre famille, vous vous montrez si prompts à pardonner. J’allais vous demander si vous aviez songé à cette Mlle Wade ?

— Oui, j’ai songé à elle. Mais je n’y ai pensé qu’après avoir parcouru tout notre voisinage, et encore n’y aurais-je peut-être pas pensé si, en rentrant, je n’avais pas trouvé Mère et Chérie qui s’étaient mis dans la tête que Tattycoram est allée chez cette demoiselle. Alors, naturellement, je me suis rappelé ce qu’elle nous avait dit le premier jour où vous avez dîné avec nous.

— Savez-vous où demeure Mlle Wade ?

— À parler franchement, répliqua M. Meagles, c’est parce que j’ai une sorte de vague idée de son adresse, que je vous ai attendu ici. Il existe là-bas à Twickenham une de ces bizarres impressions qui viennent parfois se faufiler d’une façon mystérieuse dans l’esprit des gens sans que personne puisse dire de qui il la tient, mais que tout le monde néanmoins croit tenir de quelqu’un… Eh bien ! Il existe chez nous une vague impression de ce genre d’après laquelle Mlle Wade demeurerait ou aurait demeuré à cette adresse, ou dans les environs. »

M. Meagles tendit à Clennam un papier où on lisait le nom d’une des plus sombres petites rues de la région fashionable, de Grosvenor-Square, près de Park-Lane.

« Mais il n’y a pas de numéro, remarqua Clennam après avoir lu cette vague adresse.

— Pas de numéro, mon cher Clennam ? Je crois bien qu’il n’y a pas de numéro ! Il n’y a rien du tout. Je ne répondrais pas même du nom de la rue. Peut-être est-ce un nom qui flottait dans l’air et qu’on a saisi au passage ; car, ainsi que je viens de vous le dire, personne chez moi ne se rappelle qui il a entendu donner cette adresse… mais il n’y a toujours pas de mal d’aller aux renseignements par là ; et comme j’aimerais mieux avoir quelqu’un avec moi que de m’y rendre seul, et que d’ailleurs vous