Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/340

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changer. Le seul changement que j’attende désormais, c’est le grand changement… le dernier de tous.

— En vérité, madame ? répondit Pancks, dont l’œil distrait se dirigeait vers la petite couturière à genoux, qui ramassait les bouts de fils et les chiffons éparpillés sur le tapis. Vous avez pourtant très-bonne mine, madame.

— Je souffre sans me plaindre ce que je dois souffrir, répliqua Mme Clennam. Vous, de votre côté, faites ce que vous avez à faire.

— Merci, madame ; j’y fais tous mes efforts.

— Vous venez souvent dans ce quartier, n’est-ce pas ? demanda Mme Clennam.

— Mais, oui, madame ; depuis quelque temps, j’y viens assez souvent, je passe presque tous les jours par ici, tantôt pour une chose, tantôt pour une autre.

— Priez M. Casby et sa fille de ne pas s’occuper de moi par procureur. S’ils veulent me voir, ils savent que je suis toujours ici pour les recevoir. Il est inutile qu’ils se donnent la peine d’envoyer personne. Il est inutile que vous-même vous preniez la peine de venir.

— Ce n’est pas une peine, madame, pas du tout, répliqua l’imperturbable Pancks… Je suis vraiment ravi de vous trouver si bonne mine, madame !

— Merci. Bonsoir. »

Ce congé, grâce au bras levé et au doigt étendu qui lui montraient la porte, était si bref et si explicite que Pancks ne vit pas moyen de prolonger sa visite. Il remua ses cheveux de l’air le plus dégagé du monde, jeta un nouveau coup d’œil à la petite Dorrit, et se dirigea à toute vapeur vers la porte en disant :

« Bonsoir, madame. Ne vous dérangez pas pour me reconduire, madame Jérémie ; je connais le chemin. »

Mme Clennam, le menton appuyé sur sa main, le suivit d’un regard sombre, attentif et méfiant, tandis que l’épouse du sieur Jérémie contemplait sa maîtresse d’un air ébahi, comme si elle eût été sous l’influence d’un charme. Puis les yeux de la paralytique se détournèrent lentement de la porte par laquelle Pancks avait disparu pour se porter avec une expression soucieuse sur la mignonne personne de la petite Dorrit, qui venait de se lever. Le menton appuyé plus pesamment encore sur sa main, la malade continua à fixer sur la jeune couturière un regard sombre et menaçant jusqu’à ce qu’elle eût attiré son attention. La petite Dorrit baissa les yeux. Mme Clennam ne cessa pas de la regarder.

« Petite Dorrit, vous connaissez cet homme ? demanda-t-elle, lorsqu’elle rompit enfin le silence.

— À peine, madame ; je le rencontre assez souvent sur mon chemin, et il m’a quelquefois adressé la parole, voilà tout ce que je sais sur lui.

— Que vous a-t-il dit ?

— Je n’ai pas très-bien compris ce qu’il m’a dit, il est si bizarre. Mais il ne m’a rien dit de malhonnête ni de désagréable.