Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/343

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sacrilège et murmurer : « Laissez-les dormir ! laissez-les dormir en paix ! »

Mme Jérémie, qui craignait le tonnerre, mais qui ne craignait guère moins cette demeure hantée par une obscurité prématurée et surnaturelle, était encore à se demander si elle rentrerait ou non, lorsqu’une soudaine rafale vint décider la question en refermant violemment la porte derrière elle dans la rue.

« Que faire maintenant ? que faire ? s’écria Mme Jérémie, en se tordant les mains dans ce dernier rêve, le plus troublé de tous ceux qu’elle avait faits. La voilà renfermée toute seule, quand elle n’est pas plus capable que les morts eux-mêmes de descendre pour ouvrir la porte ! »

Dans sa perplexité, Mme Jérémie, le tablier relevé en guise de capuchon pour se préserver de la pluie, se mit à courir à diverses reprises le long du trottoir désert. Pourquoi se baissa-t-elle pour regarder par le trou de la serrure, comme si son œil pouvait l’ouvrir ? Je ne saurais le dire. Néanmoins c’est là ce que font la plupart des gens en pareille circonstance, et c’est là ce que fit Mme Jérémie.

Elle se redressa tout à coup avec un cri étouffé, sentant quelque chose se poser sur son épaule. Ce quelque chose était une main : une main d’homme.

Cet homme portait un costume de voyage, une casquette garnie de fourrure avec un large et lourd manteau. Il avait l’air d’un étranger. Sa chevelure et ses moustaches épaisses étaient d’un noir de jais, excepté aux extrémités où elles prenaient une teinte rougeâtre. Son nez était grand et recourbé. Il se mit à rire en voyant l’épouvante de Mme Jérémie et en entendant le cri qu’elle venait de pousser ; et lorsqu’il rit, sa moustache se releva sous son nez et son nez s’abaissa sur sa moustache.

« Qu’avez-vous donc ? demanda-t-il en très-bon anglais. Qu’est-ce qui vous fait peur ?

— Vous, répondit Mme Jérémie d’une voix haletante.

— Moi, madame ?

— Oui, vous, et l’orage et… et tout, répondit-elle. Et tenez, voilà le vent qui a refermé ma porte, et je ne puis pas rentrer.

— Bah ! dit l’inconnu, qui prit la chose très-tranquillement. En vérité ? Connaissez-vous ici quelqu’un du nom de Clennam ?

— Parbleu ! si je la connais ! Je crois bien ! s’écria Mme Jérémie qui, à cette question, se tordit les mains avec un nouveau désespoir.

— Où cela ?

— Où ? répéta Mme Jérémie, regardant encore une fois par le trou de la serrure. Où voulez-vous qu’elle demeure si ce n’est dans cette maison ? Et elle y est toute seule, dans sa chambre, et elle est paralysée des jambes et ne peut pas seulement bouger pour me tirer d’embarras. Et l’autre finaud qui est sorti… Dieu me