Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prêt à se servir. Son système consistait à demander s’il y avait un précédent pour tel ou tel fait. Quelquefois il s’adressait au président avec un : « D’abord je vous prierais, monsieur, de vouloir bien dire à la chambre s’il existe le moindre précédent qui justifie la mesure dans laquelle l’honorable préopinant voudrait nous précipiter. » D’autres fois il demandait directement à l’honorable préopinant d’indiquer quel précédent il avait à leur offrir. D’autres fois encore, il annonçait à l’honorable préopinant que lui (William Mollusque) se donnerait la peine de rechercher s’il existait un précédent. Souvent, enfin, il écrasait du coup l’honorable préopinant en lui annonçant qu’il n’existait aucun précédent. Mais ces deux mots, précédent et précipiter étaient, en toute circonstance, les doux chevaux de bataille de cet habile circonlocutioniste. Il y avait vingt-cinq ans que l’infortuné et honorable préopinant essayait, toujours en vain, de précipiter William Mollusque dans telle ou telle mesure ; c’est égal… William Mollusque continuait à demander à la chambre (il ne se souciait guère de le demander au pays), si on croyait qu’il allait se laisser précipiter dans telle ou telle mesure. Peu importait à William Mollusque qu’il fût matériellement impossible que l’infortuné et honorable préopinant pût citer un précédent quelconque, il n’en continuait pas moins à remercier l’honorable préopinant de ses bravos ironiques et à l’achever en lui disant à son nez et à sa barbe qu’il N’Y AVAIT PAS de précédent pour justifier telle ou telle mesure. Peut-être pourrait-on objecter que la sagesse de William Mollusque n’est pas une sagesse d’un ordre bien élevé, attendu que si rien ne doit se faire sans précédent, il est clair que le monde, dont les Mollusques se moquaient sans vergogne, n’aurait jamais été créé ; ou bien, que s’il eût été créé par suite de quelque étourderie, il aurait marché tout de travers. Mais le substantif précédent et le verbe précipiter accouplés ensemble suffisaient pour effrayer la plupart des gens.

Puis il y avait un autre Mollusque, un Mollusque très-agile, qui avait sauté à travers vingt places en un rien de temps, qui occupait toujours deux ou trois sinécures à la fois, et qui était l’inventeur respecté d’un procédé admirable qu’il employait avec beaucoup de succès au bénéfice de tous les gouvernements Mollusques. Ce procédé consistait, lorsqu’on lui adressait une question parlementaire sur un sujet quelconque, à répondre sur toute autre chose. Ce système de coq-à-l’âne avait rendu de très-grands services et avait valu au spirituel inventeur l’estime du ministère des Circonlocutions.

Il y avait aussi quelques Mollusques parlementaires moins illustres ; ceux-là n’avaient pas encore de place qui méritât ce nom, et faisaient leur apprentissage afin de prouver qu’ils étaient dignes d’en occuper une. Ces Mollusques étaient de ceux qui se tiennent perchés sur les escaliers ou cachés dans les couloirs de la chambre, attendant des ordres pour savoir s’ils doivent ou non procéder à ce que la chambre soit en nombre ; qui crient : « Écoutez ! écoutez ! »