Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/403

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ou : « Oh ! oh ! » ; qui applaudissent ou aboient selon le mot d’ordre donné par le chef de la famille ; qui mettent à l’ordre du jour des motions insignifiantes uniquement destinées à retarder une motion sérieuse ; qui prononcent des discours assommants sur des sujets ennuyeux jusqu’à une heure avancée de la nuit, jusqu’aux derniers jours de la session, puis s’écrient avec un vertueux patriotisme en réponse à la motion sérieuse, qu’il est trop tard. Alors ils partent pour la province, partout où on les envoie, jurant que lord Decimus a tiré le commerce d’une syncope et la navigation d’une attaque de paralysie ; qu’il a doublé la récolte de blé, quadruplé la récolte de foin, et empêché un tas incroyable d’or de s’envoler des caves de la Banque. Ces Mollusques inférieurs étaient distribués par les chefs de la famille, comme autant de basses cartes qui ne peuvent plus servir au grand jeu de la Cour, mais qui sont encore assez bonnes pour présider à des meetings et des dîners publics, où ils apportaient un témoignage aussi éclatant que désintéressé aux nombreux services rendus au pays par leurs nobles et honorables parents, et mettaient l’éloge des Mollusques à toute sauce dans des toasts impromptus depuis longtemps préparés. Ils se rendaient avec le même mot d’ordre à toutes les élections ; ils se démettaient de leurs propres sièges au Parlement, dans le plus bref délai et aux conditions les plus déraisonnables, afin de laisser le champ libre à d’autres membres ; ils quêtaient et rapportaient aussi bien qu’un chien de race ; ils flattaient, tripotaient, corrompaient, cherchaient leur vie dans des tas d’ordures, toujours infatigables dans leur zèle pour le service de la patrie. Aussi il n’existait pas, dans tous les bureaux du ministère des Circonlocutions, une liste de places disponibles d’ici à vingt-cinq ans (depuis le gouvernement des Indes ou un commissariat de la Trésorerie, jusqu’à un consulat en Chine), où quelques-uns de ces Mollusques, sinon tous ces Mollusques faméliques et adhésifs ne se fussent inscrits comme candidats.

Il est inutile de dire que chaque classe de Mollusques avait à peine un échantillon pour la représenter à ce mariage, car en tout il n’y en avait pas plus d’une quarantaine. Et qu’est-ce que quarante Mollusques, sur toute une légion ! Mais cette députation faisait foule dans le petit cottage de Twickenham. Ce fut un Mollusque (assisté d’un autre Mollusque) qui unit l’heureux couple, et ce fut lord Tenace Mollusque qui eut l’honneur d’offrir le bras à Mme Meagles pour la conduire vers la salle du festin.

Le repas ne fut ni aussi animé ni aussi agréable qu’il aurait pu l’être. M. Meagles écrasé par ses hôtes illustres (dont la présence, néanmoins, le flattait énormément) n’était pas dans son assiette ; Mme Gowan, au contraire était dans la sienne, ce qui ne contribuait pas à améliorer la position de M. Meagles. Il y avait dans l’air comme une fiction acceptée que ce n’était pas du tout M. Meagles qui avait mis des bâtons dans les roues, que c’était au contraire la noble famille Mollusque qui s’était seule opposés au