Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/86

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—  La prison pour dettes ?

— Oui, monsieur, » répliqua le vieillard d’un ton qui annonçait qu’il ne croyait pas qu’il fût absolument nécessaire d’appuyer sur cette dernière désignation « la prison pour dettes. »

Il se retourna et poursuivit son chemin.

« Pardon, reprit Arthur, l’arrêtant une seconde fois ; mais voulez-vous me permettre de vous adresser encore une question ? Tout le monde est-il libre d’entrer là-dedans ?

D’y entrer, oui, » répondit le vieillard ; et l’accent qu’il donnait à sa réponse disait clairement : « Mais, par exemple, tout le monde n’est pas libre d’en sortir. »

— Pardonnez mon indiscrétion. Connaissez-vous bien cet endroit ?

— Monsieur ! répliqua le vieillard, froissant son petit cornet de tabac et regardant son interrogateur comme si cette question l’eût blessé : oui, je le connais très bien.

— Veuillez m’excuser. Ne croyez pas que je sois poussé par une curiosité impertinente, mais au contraire par un bon motif. Connaissez-vous par hasard le nom de Dorrit ?

— Mon nom, monsieur, répliqua le vieillard, est Dorrit. »

À cette réponse inattendue, Arthur lui ôta son chapeau.

« Accordez-moi la faveur de quelques mots d’entretien. Je suis tout surpris de ce que vous venez de me dire, et j’espère que cette assurance est une excuse suffisante de la liberté que j’ai prise de m’adresser à vous. Je suis tout récemment de retour en Angleterre, après une longue absence. J’ai vu chez ma mère… Mme Clennam, dans le quartier de la Cité… une jeune fille travaillant à l’aiguille, que je n’ai jamais entendu appeler ou désigner sous d’autre nom que celui de la petite Dorrit. Je m’intéresse sincèrement à elle, et j’ai le plus grand désir d’apprendre quelque chose sur ce qui la concerne. Une minute peut-être avant de vous accoster, je l’ai vue passer par cette porte. »

Le vieillard examina attentivement les traits d’Arthur.

« Vous êtes marin, monsieur ? » demanda-t-il. Il parut un peu contrarié lorsque l’autre lui répondit non par un signe de tête négatif. « J’aurais cru, à votre teint bruni, que vous deviez être un marin. Parlez-vous sérieusement, monsieur ?

— Je vous assure que je n’ai jamais parlé plus sérieusement, et vous prie bien de le croire.

— Je ne connais que fort peu le monde, monsieur, reprit le vieillard, qui avait une voix faible et chevrotante. Je ne fais qu’y passer comme l’ombre sur le cadran solaire. Cela ne vaudrait pas la peine de me tromper… la chose serait vraiment trop facile ; ce serait un trop pauvre succès pour qu’on pût en tirer la moindre vanité. La jeune femme que vous avec vue entrer là dedans est la fille de mon frère. Mon frère est William Dorrit ; moi, je suis Frédéric. Vous dites que vous avez rencontré ma nièce chez votre mère (je sais que votre mère la protège), que vous vous intéressez à elle et désirez savoir ce qu’elle fait ici : venez voir. »