Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/269

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M. Wardle, pendant que les oiseaux s’envolaient en toute sûreté.

— Je n’ai jamais vu un fusil comme cela dans toute ma vie, répondit le pauvre Winkle en regardant la batterie, comme si cela avait pu remédier à quelque chose. Il part de lui-même, il veut partir bon gré mal gré.

— Ah ! il veut partir ! répéta M. Wardle avec un peu d’irritation. Plût au ciel qu’il voulût aussi tuer quelque chose !

— Il le fera avant peu, monsieur, dit le grand garde-chasse.

— Qu’est-ce que vous entendez par cette observation, monsieur ? demanda aigrement M. Winkle.

— Rien du tout, monsieur, rien du tout. Moi, je n’ai pas de famille, et la mère de ce garçon ici aura quelque chose de sir Geoffrey, si le moutard est tué sur ses terres. Rechargez, monsieur, rechargez votre arme.

— Ôtez-lui son fusil ! s’écria de sa brouette M. Pickwick, frappé d’horreur par les sombres insinuations du grand homme. Ôtez-lui son fusil ! M’entendez-vous, quelqu’un ! »

Personne cependant ne s’offrit pour exécuter ce commandement, et M. Winkle, après avoir lancé un regard de rébellion au philosophe, rechargea son fusil et marcha en avant avec les autres chasseurs.

Nous sommes obligé de dire, d’après l’autorité de M. Pickwick, que la manière de procéder de M. Tupman paraissait beaucoup plus prudente et plus rationnelle que celle adoptée par M. Winkle. Cependant ceci ne doit en aucune manière diminuer la grande autorité de ce dernier dans tous les exercices corporels ; car, depuis un temps immémorial, comme l’observe admirablement M. Pickwick, beaucoup de philosophes, et des meilleurs, qui ont été de parfaites lumières pour les sciences, en matière de théorie, n’ont jamais pu parvenir à faire quelque chose dans la pratique.

Comme la plupart des plus sublimes découvertes, la manière d’agir de M. Tupman paraissait extrêmement simple. Avec la pénétration intuitive d’un homme de génie, il avait remarqué, du premier coup, que les deux grands points à obtenir étaient : 1o de décharger son fusil sans se nuire ; 2o de le décharger sans endommager les assistants. Donc et évidemment, lorsqu’on était parvenu à surmonter la difficulté de faire feu, la meilleure chose était de fermer les yeux solidement et de tirer en l’air. Q.E.D.