Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/290

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descendre dans son large gosier comme s’il y en avait eu plein un dé.

« Bien exécuté, papa. Mais il faut prendre garde, vieux gaillard, ou bien vous vous ferez pincer par la goutte.

— J’ai trouvé pour ça un remède souverain, répliqua M. Weller en reposant son verre.

— Un remède souverain pour la goutte, s’écria M. Pickwick en tirant promptement son mémorandum, qu’est-ce que c’est ?

— La goutte, mossieu, la goutte est une maladie qu’elle est naquise de trop d’aises et de conforts. Si vous êtes jamais attaqué par la goutte, mossieu, vite épousez une veuve qu’a une bonne voix forte avec une idée décente de s’en faire usage, vous n’aurez pus jamais la goutte. C’est une proscription capitale, mossieu. Je la consomme régulièrement et je vous réponds qu’elle chasse toutes les maladies qu’est causée par trop de joyeuseté. »

Ayant communiqué ce secret inestimable, M. Weller vida son verre de nouveau, cligna de l’œil d’une manière prétentieuse, soupira profondément, et se retira avec lenteur.

« Eh bien ! Sam, que pensez-vous de ce qu’a dit votre père ? demanda M. Pickwick en souriant.

— Ce que j’en pense ? monsieur ; je pense qu’il est victime du matrimonial, comme disait le chapelain de la Barbe-Bleue, en l’enterrant avec une larme de pitié. »

Il n’y avait pas de réplique possible à l’à-propos de cette conclusion ; c’est pourquoi M. Pickwick, après avoir payé leur écot, reprit son chemin vers Gray’s Inn. Lorsqu’il atteignit ses grottes retirées, huit heures avaient sonné, et le flot incessant de gentlemen en pantalons crottés, en chapeaux gris déformés, en habits râpés, qui se précipitait par toutes les issues, l’avertit que la majorité des études était fermée pour ce jour-là.

Après avoir grimpé deux étages rapides et malpropres, M. Pickwick vit réaliser ses prévisions : la porte de M. Perker était close, et le morne silence qui suivit les coups répétés frappés par Sam, leur annonça suffisamment que les gens d’affaires s’étaient retirés pour la nuit.

« Voilà qui est bien contrariant, Sam. Je ne voudrais pourtant pas perdre un moment pour le voir. Je suis sûr que je ne pourrai pas fermer l’œil avant d’avoir confié cette affaire à un homme du métier.