Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/298

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déjà éprouvé cette étrange sensation, pense-t-il. Je ne puis pas m’empêcher d’imaginer qu’il y a quelque mystère dans ce cabinet… » En même temps, il fait un effort, rassemble tout son courage, brise la serrure avec le fourgon, ouvre la porte, et là, ma foi ! il découvre, debout dans un coin, le dernier locataire, tenant une petite bouteille dans sa main crispée, et dont le visage portait les traces affreuses d’une mort violente. »

Ayant ainsi parlé, le vieux homme recommença à ricaner, en promenant ses regards refrognés sur les visages étonnés et attentifs de ses auditeurs.

« Quelles choses étranges vous nous dites là, monsieur ! s’écria M. Pickwick en observant minutieusement les traits du vieillard, au moyen de ses lunettes.

— Étranges ? reprit celui-ci, nullement. Vous les trouvez étranges parce qu’elles sont nouvelles pour vous. Elles sont farces, mais ordinaires.

— Farces ! s’écria M. Pickwick involontairement.

— Oui, farces ! n’est-il pas vrai ? » répliqua le petit vieillard avec un ricanement diabolique ; et alors sans attendre une réponse, il continua :

« Il y a une quarantaine d’années, je connaissais un autre individu qui loua, dans un des plus anciens Inns, un appartement vieux, humide, moisi, demeuré vacant et fermé depuis des années, des siècles. Il courait une quantité d’histoires de vieilles femmes sur ce logement-là, et certainement il était loin d’être gai ; mais la pauvreté rongeait notre homme, et quand ces chambres auraient été dix fois pires, leur bon marché l’aurait décidé. Il fut obligé de racheter quelques vieux meubles qui étaient scellés à la muraille, et entre autres une grande armoire à papiers, avec de grandes portes vitrées, garnies en dedans de rideaux verts. C’était un meuble fort inutile pour lui, car il n’avait pas de papiers à y mettre, et quant à ses vêtements il les portait toujours sur son dos, sans se fatiguer, encore. C’est bien. Il fait donc porter tous ses meubles, et il n’en avait pas la charge d’un brancard ; il éparpille ses quatre chaises dans la chambre pour leur faire faire, autant que possible, la figure d’une douzaine, et, le soir venu, il se met à boire auprès du feu le premier verre d’un gallon d’eau-de-vie qu’il avait acheté à crédit. Tout en buvant, il se demandait à lui-même si l’eau-de-vie serait jamais payée, et dans ce cas, au bout de combien d’années, lorsque ses yeux