Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/34

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succombe vous trouverez dans mon portefeuille une lettre pour mon… pour mon père. »

Cette attaque ne réussit point davantage. M. Snodgrass fut touché, mais il s’engagea à remettre la lettre aussi facilement que s’il avait fait toute sa vie le métier de facteur.

« Si je meurs, continua M. Winkle, ou si le docteur périt, vous, mon cher ami, vous serez jugé comme complice en préméditation. Faut-il donc que j’expose un ami à la transportation ? peut-être pour toute sa vie ! »

Pour le coup, M. Snodgrass hésita ; mais son héroïsme fut invincible. « Dans la cause de l’amitié, s’écria-t-il avec ferveur, je braverai tous les dangers. »

Dieu sait combien notre duelliste maudit intérieurement le dévouement de son ami. Ils marchèrent pendant quelque temps en silence, ensevelis tous les deux dans leurs méditations. La matinée s’écoulait et M. Winkle sentait s’enfuir toute chance de salut.

« Snodgrass, dit-il en s’arrêtant tout d’un coup, n’allez point me trahir auprès des autorités locales ; ne demandez point des constables pour prévenir le duel ; ne vous assurez pas de ma personne, ou de celle du docteur Slammer, du 97e, actuellement en garnison dans la caserne de Chatham. Afin d’empêcher le duel, n’ayez point cette prudence, je vous en prie. »

M. Snodgrass saisit avec chaleur la main de son compagnon et s’écria, plein d’enthousiasme : « Non ! pour rien au monde. »

Un frisson parcourut le corps de M. Winkle quand il vit qu’il n’avait rien à espérer des craintes de son ami, et qu’il était irrévocablement destiné à devenir une cible vivante.

Lorsqu’il eut raconté formellement à M. Snodgrass les détails de son affaire, ils entrèrent tous deux chez un armurier ; ils louèrent une boîte de ces pistolets qui sont destinés à donner et à obtenir satisfaction, ils y joignirent un assortiment satisfaisant de poudre, de capsules et de balles ; puis ils retournèrent à leur auberge, M. Winkle pour réfléchir sur la lutte qu’il avait à soutenir ; M. Snodgrass pour arranger les armes de guerre, et les mettre en état de servir immédiatement.

Lorsqu’ils sortirent de nouveau pour leur désagréable entreprise, le soir s’approchait, triste et pesant. M. Winkle, de peur d’être observé, s’était enveloppé dans un large manteau : M. Snodgrass portait sous le sien les instruments de destruction.