Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/41

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sique sont au théâtre. Dépouillez celui-ci de ses faux embellissements et celle-là de ses illusions, que reste-t-il de réel et d’intéressant dans tous les deux ?

— Cela est bien vrai, monsieur, répliqua M. Snodgrass.

— Assis devant les quinquets, vous faites partie du cercle royal ; vous admirez les vêtements de soie de la foule brillante ; vous tenez-vous, au contraire, dans la coulisse, vous êtes le peuple qui fabrique ces beaux vêtements ; gens inconnus et méprisés qui peuvent tomber et se relever, vivre et mourir, comme il plaît à la fortune, sans que personne s’en inquiète.

— Certainement, répondit M. Snodgrass, car l’œil profond de l’homme lugubre était fixé sur lui, et il sentait la nécessité de dire quelque chose.

— Allons, Jemmy, dit le voyageur espagnol, soyons vifs, pas de croassements, ayez l’air sociable.

— Voulez-vous préparer un autre verre avant de commencer ?  » dit M. Pickwick.

L’homme lugubre accepta l’offre, mélangea un verre d’eau et d’eau-de-vie, en avala lentement la moitié, développa son rouleau de papier et commença à lire et à raconter tour à tour les événements que l’on va lire, et que nous avons trouvés inscrits dans les registres du club sous le titre de : Histoire d’un clown.

« Vous ne trouverez rien de merveilleux dans le récit que je vais vous faire. Besoins et maladie, ce sont des choses trop connues, dans beaucoup d’existences, pour mériter plus d’attention qu’on n’en accorde aux vicissitudes journalières de la vie humaine. J’ai rassemblé ces notes parce que celui qui en fait le sujet m’était connu depuis fort longtemps. J’ai suivi pas à pas sa descente dans l’abîme, jusqu’au moment où il atteignit le dernier degré de la misère, dont il ne s’est jamais relevé depuis.

« L’homme dont il s’agit était un acteur pantomime, et, comme beaucoup de gens de cet état, un ivrogne invétéré. Dans ses beaux jours, avant d’être affaibli par la débauche, il recevait un bon salaire, et s’il avait été rangé et prudent, il aurait pu le toucher encore durant quelques années ; quelques années seulement, car ceux qui font ce métier meurent de bonne heure ou du moins perdent avant le temps l’énergie physique dont ils ont abusé, et qui était leur unique gagne-pain. Celui-ci se laissa abrutir si vite qu’il devint impossible de l’employer dans les rôles où il était réellement utile au théâtre. Le cabaret avait