Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fut terminé, le gros gentleman se retira dans un coin et resta parfaitement muet durant une heure vingt-sept minutes : alors seulement, sortant de sa retraite, il offrit à M. Pickwick une prise de tabac, avec l’air généreux d’un homme que la charité chrétienne engage à pardonner les injures qu’il a reçues.

Pendant ces événements, le jeu de la table ronde continuait avec gaieté. Isabelle Wardle s’était associée avec M. Trundle, Emily Wardle avec M. Snodgrass, et qui plus est, M. Tupman et la tante demoiselle avaient aussi formé une société de fiches et de galanteries. Le vieux M. Wardle était au comble de la joie ; il conduisait une banque avec tant d’astuce, les dames montraient tant d’âpreté au gain, qu’un tonnerre d’éclats de rire retentissait continuellement autour de la table. Il y avait une vieille lady qui était toujours obligée de payer pour une demi-douzaine de cartes. Tout le monde en riait régulièrement à chaque tour, et quand la vieille lady avait l’air vexé de payer, on riait encore plus fort : alors son visage s’épanouissait par degrés, et elle finissait par faire chorus avec les autres. Quand la tante demoiselle faisait un mariage, les jeunes personnes éclataient de nouveau et la tante demoiselle devenait de très-mauvaise humeur ; mais elle sentait la main de M. Tupman qui saisissait la sienne par-dessous la table, et son visage s’épanouissait aussi, puis elle prenait un air à peu près malin, comme si le mariage n’avait pas été aussi loin de la question qu’on le supposait. Alors tout le monde recommençait à rire, surtout le vieux Wardle qui s’amusait d’une plaisanterie au moins autant que les plus jeunes. Cependant, M. Snodgrass murmurait continuellement dans l’oreille de sa partner des sentiments poétiques, qui faisaient faire à un vieux gentleman sur les associations pour les cartes et sur les associations pour la vie, des remarques facétieuses et malignes, accompagnées de coups d’œil, de coups de coude et de sourires. L’hilarité de la compagnie en était redoublée, et spécialement celle de l’épouse du susdit vieux gentleman. De temps en temps M. Winkle éditait des bons mots, fort connus dans la ville, mais qui ne l’étaient pas encore dans la province ; et comme tout le monde en riait de très-bon cœur et les trouvait excellents, M. Winkle était resplendissant d’honneur et de gloire. Quant au bienveillant ecclésiastique, il regardait cette scène d’un air satisfait, car le bon vieillard était heureux de voir des visages heureux autour de lui ; et, quoique la joie fût assez bruyante,