Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
NICOLAS NICKLEBY.

mercier sa bonne étoile d’être née fille d’un directeur… Ohé ! Monsieur, comment ça va-t-il ?

Le personnage ainsi apostrophé était un homme au teint brun, légèrement couleur de suif, aux cheveux noirs et épais, et à la barbe très-forte. Il avait une grosse canne de frêne, apparemment plutôt pour la montre que pour l’usage, car il la tenait par le bout, se mettait en garde, faisait des armes avec les coulisses, ou tout autre objet animé ou inanimé qui lui semblait pouvoir servir de but.

— Eh bien ! Tommy, dit l’étranger en poussant une botte à son ami, qui la para habilement, qu’y a-t-il de neuf ? — Un nouveau venu, voilà tout, répondit M. Folair regardant Nicolas. — Faites les honneurs, Tommy, faites les honneurs, dit le bâtonniste en lui donnant un coup de canne sur le haut de son chapeau. — Je vous présente M. Lenville, qui joue le premier rôle dans la tragédie, dit le pantomime. — Excepté quand le vieux Plâtras se met en tête de le jouer, fit observer M. Lenville. Vous connaissez le vieux Plâtras, je le suppose, Monsieur ? — Nullement. — C’est un nom que nous donnons à Crummles, parce que son jeu est lourd et assommant. Mais il ne faut pas que je plaisante, car j’ai un rôle interminable à débiter demain soir, et je n’ai pas eu le temps de le regarder ; j’apprends vite, c’est ce qui me console.

Cependant la troupe s’était réunie à M. Lenville ; et à son ami Tommy s’était joint un jeune homme grêle, aux yeux éteints, qui chantait en voix de ténor ; il était venu bras dessus, bras dessous avec le bas comique, personnage au nez retroussé, à la bouche large, à la face épanouie, aux yeux de grenouille. Un homme d’un certain âge, à moitié ivre et au dernier degré de l’abaissement, qui jouait les vieillards calmes et vertueux, faisait l’aimable avec l’enfant phénomène. Madame Crummles était courtisée par un autre individu un peu moins ignoble, qui jouait les vieillards grondeurs, ayant des neveux dans le militaire, et courant continuellement sur eux avec une canne à pomme d’or pour les forcer à épouser des héritières. On voyait en outre un individu en grosse redingote, à l’air fanfaron, qui se promenait le long de la rampe, brandissait une badine, et déclamait à demi-voix avec beaucoup de vivacité pour divertir un auditoire imaginaire. Un petit groupe de trois ou quatre jeunes gens à sourcils épais, à pommettes saillantes, était à causer dans un coin ; mais ils paraissaient d’une importance secondaire, et riaient et parlaient ensemble sans attirer une attention bien marquée.

Les dames étaient pelotonnées autour de la table d’acajou ci-dessus décrite. Là était miss Snevellicci, qui feignait d’être tout occupée de conter une histoire diver-