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NICOLAS NICKLEBY.

votre future est sa fille ? — Oui ; je savais bien que vous n’aviez pu l’oublier. — Vous aviez raison, répondit Ralph ; mais Arthur Gride et le mariage sont deux mots qui hurlent de se trouver accouplés. Ce qui est plus incroyable encore, c’est que le vieil Arthur Gride épouse la fille d’un homme ruiné et détenu pour dettes. Vous êtes venu réclamer mon concours, ce motif seul vous amène chez moi ; expliquez-vous donc catégoriquement. Et surtout ne me parlez pas de l’avantage que je dois retirer de vos projets, car je sais que vous y trouverez aussi le vôtre ; autrement vous ne mettriez pas la main à la pâte.

Ces paroles étaient assez acerbes et sarcastiques pour échauffer même le sang glacé du vieil usurier ; cependant Arthur ne témoigna point de colère, et se contenta de s’écrier comme devant :

— Ah ! quel homme ! quel homme ! Puis, voyant sur les traits de Ralph un avide désir d’éclaircissement, il entra dans les détails nécessaires.

Il établit d’abord que Madeleine Bray était l’esclave des moindres désirs de son père, dont elle était l’unique appui. Ralph répondit qu’il en avait déjà entendu parler, et que ce dévouement insensé prouvait qu’elle ne connaissait pas le monde.

Il s’étendit ensuite sur le caractère du père, et posa en fait que, s’il accordait à sa fille toute l’affection dont il était capable, il en avait néanmoins beaucoup plus pour lui-même. Ralph répliqua que c’était assez naturel et très-probable.

En troisième lieu, le vieil Arthur déclara que Madeleine était une charmante fille, et qu’il avait réellement envie de la prendre pour femme.

Ralph ne daigna répondre que par un sourire railleur.

— Maintenant, dit Gride, venons au plan que j’ai conçu. Je ne me suis pas encore présenté au père à titre de futur époux. Il y a six mois que j’ai vu pour la première fois la fille, et c’est moi qui fais détenir M. Bray pour la somme de dix-sept cents livres. — Vous parlez comme si vous étiez le seul créancier, dit Ralph exhibant son portefeuille. Je le suis aussi pour la somme de neuf cent soixante-quinze livres quatre shillings trois pence. — Nous sommes les seuls créanciers, dit Arthur avec empressement, nous seuls payons les frais de sa détention, et ils sont assez considérables, je vous le garantis. Maintenant, je me propose pour gendre à Walter Bray ; je m’engage à le faire mettre en liberté immédiatement après mon mariage, et à lui faire une pension qu’il ira manger de l’autre côté de la Manche. (Si j’en crois le médecin que j’ai consulté, il est impossible qu’il vive longtemps.) Si je lui présente convenablement les avantages d’un pareil arrangement, pensez-vous qu’il puisse me résister ? et s’il ne peut me résister, pensez-vous que sa fille puisse lui