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NICOLAS NICKLEBY.

habituelle de ce jeune homme, qu’il sembla craindre un moment de continuer l’entretien. Il surmonta bientôt son embarras et repartit avec colère :

— Si je me rappelle ce qui s’est passé à l’époque dont vous parlez, j’ai exprimé énergiquement mon sentiment à ce sujet, et je vous ai déclaré que jamais, de mon consentement, vous ne donneriez suite à vos menaces. — M’en empêcherez-vous ? demanda en riant sir Mulberry. — Oui, si je le puis. — Alors donc, mêlez-vous de vos affaires, et laissez-moi le soin des miennes. — Cette affaire est la mienne, répondit lord Frédéric ; je la prends pour moi ; je suis plus compromis que je ne devrais l’être. — Faites ce qu’il vous plaira pour vous, dit sir Mulberry en affectant un air d’aisance et de bonne humeur ; mais ne vous occupez pas de moi ; je ne conseille à personne de contrecarrer mes projets, et vous me connaissez assez pour n’en rien faire. Vous avez voulu me donner un conseil, vos intentions sont bonnes sans doute ; mais je ne vous écouterai pas. Maintenant, s’il vous plaît, retournons à votre voiture, je suis loin de m’amuser ici ; si nous prolongions cette conversation, nous pourrions nous quereller, ce qui ne prouverait ni votre sagesse ni la mienne.

Sir Mulberry accompagna ces mots d’un bâillement, et s’éloigna tranquillement.

Mais, tout en affectant de l’indifférence, il résolut de se venger de la terrible obligation de dissimuler, en traitant Nicolas avec un redoublement de rigueur. Il se promit aussi de châtier un jour le jeune lord d’une manière ou d’une autre. Tant que Verisopht avait été un instrument passif entre ses mains, sir Mulberry n’avait éprouvé pour lui que du mépris ; mais aujourd’hui qu’il osait énoncer des sentiments contraires à ceux de son menter, et même lui parler d’un ton de hauteur, sir Mulberry commençait à le haïr. Il sentait qu’il était dépendant du jeune lord, dans la plus honteuse acception du mot, et il supportait son humiliation avec d’autant plus d’impatience. Il mesurait son aversion, comme c’est l’ordinaire, à l’étendue de ses torts envers celui qui en était l’objet.

D’un autre côté, le jeune lord réfléchit, ce qui lui arrivait rarement. Il examina l’affaire de Nicolas et les circonstances qui l’avaient amenée, et il arriva à une conclusion honnête et énergique. La grossièreté et l’insolence de sir Mulberry envers Nicolas avaient produit une profonde impression sur l’esprit de Verisopht, et il soupçonnait pour la première fois que sir Mulberry avait eu ses vues personnelles en l’engageant à faire la cour à miss Nickleby. Il était honteux, mortifié et plein d’une sourde colère.

Ils rejoignirent leurs amis, et lord Frédéric se jura à lui-même d’empêcher à tout prix qu’on maltraitait Nicolas. Sir Mulberry, croyant l’avoir réduit au silence, ne