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NICOLAS NICKLEBY.

clameurs telles, que, poussées par un autre que moi, elles me réveilleraient même dans les bras de la jolie Madeleine. — Infâme ! si vous étiez plus jeune… — Ah ! oui, dit Arthur Gride d’un ton railleur, si j’étais plus jeune, ce serait moins humiliant ; mais être trahi par la petite Madeleine, pour moi qui suis si vieux et si laid ! — Écoutez-moi, dit Nicolas, et rendez grâce au ciel de ce que j’ai assez d’empire sur moi-même pour ne pas vous jeter par la fenêtre, ce qu’aucune puissance ne m’empêcherait de faire une fois que je vous aurais empoigné. Je n’ai jamais été l’amant de cette dame ; il n’y a eu entre nous ni contrat, ni engagement, ni parole d’amour, elle ne sait même pas mon nom… — J’aurai avec elle une explication là-dessus, dit Arthur Gride, et nous rirons ensemble en songeant au pauvre jeune homme qui voulait l’avoir, et qu’on a éconduit parce qu’elle m’était promise.

Ce sarcasme fit naître sur la figure de Nicolas une expression si terrible, qu’Arthur Gride le crut sur le point de mettre sa menace à exécution. L’usurier avança la tête en-dehors, se cramponna à deux mains à la fenêtre, et poussa des cris lugubres. Ne jugeant pas à propos d’attendre le résultat de ce vacarme, Nicolas se retira ; et ce ne fut qu’après l’avoir vu s’éloigner dans la rue que Gride ferma la croisée, et s’assit pour reprendre haleine.

— Si jamais elle est maussade, se dit-il, j’aurai une arme contre elle. Elle ne se doute pas que je connais l’existence de cet amant ; et en utilisant à propos ce que je viens d’apprendre, je la ferai obéir au doigt et à l’œil. Je suis content que personne ne soit venu ; j’ai eu soin de ne pas crier trop fort. Quelle audace d’entrer dans ma maison et de me faire une scène à domicile ! Mais demain est le jour de ma victoire, et l’amoureux se mordra les doigts, se jettera à l’eau peut-être, ou se coupera la gorge… je n’en serais pas étonné ! eh bien ! ça complètera mon triomphe.

Là-dessus Arthur mit son livre de côté, ferma son coffre, et descendit dans la cuisine pour reprocher à Pegs Sliderskew d’avoir si facilement laissé entrer un étranger.

Peg ne comprenant pas l’étendue de la faute qu’elle avait commise, il lui dit de tenir la lumière et de l’accompagner, et alla fermer lui-même la porte de la rue.

— Le verrou d’en haut, le verrou d’en bas, la barre, un double tour et la clef sous mon oreiller. Bon ! si quelque admirateur repoussé se présente, il sera obligé de passer par le trou de la serrure. Et maintenant, Peg, au lit jusqu’à cinq heures et demie, et puis nous songerons à la noce.

À ces mots, il frappa gaiement madame Sliderskew sous le menton et parut un moment disposé à célébrer la clôture de son célibat en imprimant un baiser sur les