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NICOLAS NICKLEBY.

cendrai, j’amènerai Madeleine. Savez-vous que j’ai eu cette nuit un songe très-étrange ? J’ai rêvé que nous étions à aujourd’hui et que je vous parlais comme tout à l’heure, je suis monté comme à présent pour m’habiller, et au moment où j’étendais la main pour saisir celle de Madeleine, le parquet a manqué sous mes pas, et tombant d’une épouvantable hauteur je ne me suis arrêté que dans un tombeau ! — Et vous vous êtes réveillé, dit Ralph, et vous vous êtes trouvé couché sur le dos, ou la tête penchée au-dehors du lit, ou tout souffrant d’une indigestion. Bah ! monsieur Bray, vous allez mener une vie de plaisirs, et étant plus occupé le jour, vous n’aurez pas le temps de songer aux rêves de la nuit.

Quand Bray fut parti, Ralph s’adressa au fiancé.

— Faites bien attention à ce que je vous dis, Arthur, vous n’aurez pas longtemps à lui payer une rente, vous avez un bonheur du diable dans vos marchés. Je veux être pendu s’il n’est pas sur le point de plier bagage.

Arthur accueillit par un ricanement cette prophétie. Ralph se jeta dans un fauteuil, et tous deux attendirent en silence. Ralph, un sourire railleur sur les lèvres, pensait à la rapidité avec laquelle l’orgueil de Bray s’était abaissé, quand son oreille exercée entendit sur l’escalier le frôlement d’une robe et les pas d’une femme.

— Ranimez-vous donc, Arthur, dit-il en frappant du pied avec impatience, les voici.

Gride se leva et se plaça à côté de Ralph Nickleby ; la porte s’ouvrit, et l’on vit entrer précipitamment, non pas Bray et sa fille, mais Nicolas et sa sœur Catherine.

Si quelque terrible apparition de l’empire des ombres se fût présentée à Ralph, il n’eût pas été plus surpris et plus foudroyé. Ses bras tombèrent sans force à ses côtés ; il chancela, recula, demeura muet, la bouche ouverte, le visage pâle de rage. Ses yeux sortaient de leurs orbites ; sa figure était si bouleversée par les passions qui le déchiraient, qu’il eût été difficile de reconnaître en lui l’homme calme et sévère du moment précédent.

— C’est celui qui est venu me voir hier au soir, murmura Gride. — J’aurais dû le deviner. Il se trouvera donc partout sur mes pas !

La pâleur du visage de Nicolas, le gonflement de ses narines, le frémissement de ses lèvres comprimées, annonçaient le violent combat que les passions se livraient dans son sein ; mais il les réprima. Et pressant doucement le bras de Catherine pour la rassurer, il se tint froidement en face de son parent.

Quand le frère et la sœur étaient l’un à côté de l’autre, il y avait entre eux une