Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
303
NICOLAS NICKLEBY.

de colère. — Je présume, Monsieur, que vous ne comptez pas rester chez moi contre ma volonté ou faire impression sur un homme qui est déterminé à ne pas vous entendre. — Monsieur Nickleby, reprit Charles avec non moins de douceur, mais avec fermeté, je viens ici pour la première fois et malgré moi, et vous devez croire que je ne m’y sens pas à mon aise ; vous ne devinez pas le sujet qui m’amène, autrement votre manière d’être serait différente. Voulez-vous que je continue ? — Comme il vous plaira ; vous avez des auditeurs très-attentifs, des murs, un pupitre et deux tabourets, vous n’aurez pas à craindre d’être interrompu. Poursuivez, emparez-vous de ma maison ; et quand je rentrerai de ma promenade, vous aurez peut-être la complaisance de me la rendre.

En disant ces mots, il boutonna son habit et prit son chapeau. Le vieux négociant le suivit dans l’allée, et essaya de lui parler ; mais Ralph le repoussa avec impatience.

— Pas un mot, vous dis-je ; tout vertueux que vous êtes, vous n’êtes pas un ange, pour paraître chez les gens contre leur gré, et les prêcher malgré eux. — Je ne suis pas un ange, Dieu le sait ; mais il est une vertu qu’il est donné aux hommes comme aux anges d’exercer quelquefois, c’est la miséricorde. — Je n’en montre à personne, et je n’en demande pas. Ne m’implorez pas, Monsieur, pour celui qui a abusé de votre puérile crédulité ; mais qu’il n’attende de moi que du mal. — Croyez-vous qu’il doive vous implorer ? s’écria Charles avec chaleur ; c’est vous plutôt qui avez besoin de sa miséricorde. Si vous ne voulez pas m’écouter quand vous le pouvez, écoutez-moi quand vous le devez, et prenez des mesures pour que cette entrevue soit la dernière entre nous. Votre neveu est un noble jeune homme, Monsieur. Ce que vous êtes, je ne le dirai pas ; mais ce que vous avez fait, je le sais. Si vous éprouvez quelques embarras dans l’affaire dont vous vous occupez actuellement, venez nous trouver, mon frère et moi, et nous vous donnerons des éclaircissements ; mais venez vite, ou autrement il serait trop tard. Je n’oublierai jamais que je venais accomplir ici une mission de miséricorde.

À ces mots, le vieux négociant mit son chapeau à larges bords, et sortit. Ralph le suivit des yeux, et dit avec un sourire de mépris :

— Ce vieillard est devenu fou.

Cependant il était évident que plus Ralph réfléchissait, plus ses alarmes augmentaient. Après avoir attendu Newman jusqu’à une heure assez avancée de l’après-midi, il courut chez Snawley, sans se rendre compte de l’intention qui l’y conduisait.