Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
319
NICOLAS NICKLEBY.

rine ? pensait Nicolas en se rendant chez MM. Cheeryble. Frank n’a pas besoin d’être plus riche ; tous ses trésors payeraient-ils une femme comme elle ? Et pourtant, dans les mariages disproportionnés, on suppose toujours que l’époux riche fait un grand sacrifice, et la femme pauvre un marché avantageux ! Mais je pense comme un amant, ou comme un sot, ce qui, je crois, revient à peu près au même.

S’étant ainsi donné une leçon, il se présenta devant Tim Linkinwater.

— Ah ! monsieur Nickleby, Dieu vous garde ! Vous semblez fatigué. Écoutez ! l’entendez-vous ? Mon merle va chanter, maintenant que vous êtes de retour ; il a été méconnaissable pendant votre absence ; car il a autant d’affection pour vous que pour moi. — Votre merle a moins de sagacité que je ne lui en supposais s’il me juge aussi digne que vous de son attention. — Ah ! c’est un oiseau extraordinaire ; il dédaigne tout le monde, excepté Cheeryble frères, vous et moi… Mais, pardon si je vous interroge au sujet du malheureux enfant que vous avez perdu ; a-t-il parlé des frères Cheeryble ? — Oui, plus d’une fois. — C’est bien de sa part, reprit Tim en s’essuyant les yeux. — Et vingt fois il a prononcé votre nom, et m’a chargé d’assurer de son amitié M. Tim Linkinwater. — Vraiment ? Le pauvre garçon ! J’aurais voulu qu’on l’enterrât à Londres. Il n’y a pas de cimetière comparable à celui qui est de l’autre côté de la place. On n’a qu’à laisser les fenêtres ouvertes, et l’on peut aller s’y promener par un beau jour sans perdre de vue ses livres et ses registres. Le pauvre garçon ! je ne croyais pas qu’il songerait à moi.

L’émotion de Tim le rendit incapable de continuer la conversation. Nicolas entra chez M. Charles, dont l’accueil lui causa un trouble qu’il ne put dissimuler.

— Allons, mon cher monsieur, dit le bon négociant, il ne faut pas vous laisser abattre. Apprenez à supporter le malheur, et rappelez-vous que la mort même a ses consolations. Cet enfant sentait trop vivement ce qui lui manquait, pour être heureux en ce monde ; il est mieux dans l’autre. — J’ai souvent eu cette idée, Monsieur. — Entretenez-la. Tim, où est mon frère ? — Il est sorti avec M. Trimmers pour visiter cet homme qui est à l’hôpital, et envoyer une nourrice aux enfants. — Il ne tardera pas à rentrer, mon cher monsieur ; il sera ravi de vous revoir : nous parlons de vous tous les jours. — À vrai dire, Monsieur, je suis charmé de vous trouver seul, car j’ai quelque chose à vous dire. Pouvez-vous me consacrer quelques minutes ? — Certainement, répondit M. Charles en regardant Nicolas avec inquiétude. — Je sais à peine par où commencer. Si jamais homme a mérité le respect et la tendresse d’un autre, c’est vous, qui dans vos rapports avec moi m’avez toujours témoigné un intérêt tout paternel. Souffrez donc que je vous réitère l’as-