Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

porte tout doucement, et, jetant sur son libérateur un regard de reconnaissance et de frayeur tout ensemble, il prit à droite et se mit à courir comme le vent.

John resta à son poste quelques minutes, puis, voyant que la conversation dans la salle continuait son train, remonta quatre à quatre, toujours avec la même précaution, écouta pendant une heure par-dessus la rampe s’il entendait quelque bruit. Tout restait parfaitement tranquille. Il regagna donc le lit de M. Squeers, et, tirant la couverture par-dessus sa tête, se mit à rire aux larmes.

Quelqu’un qui aurait pu voir le lit s’agiter sous les sanglots de rire étouffés, avec la grosse figure rougeaude du robuste naturel du Yorkshire apparaissant de temps en temps entre deux draps, comme un hippopotame en goguette qui viendrait respirer à la surface de l’eau, pour faire encore après le plongeon dans de nouvelles convulsions de gaieté folâtre, ne se serait guère moins amusé pour son compte que ne le faisait John Browdie lui-même.


CHAPITRE VIII.

Nicolas devient amoureux. Il emploie un médiateur dont les démarches sont couronnées d’un succès inattendu, excepté pourtant sur un seul point.

Se voyant une fois hors des griffes de son ancien persécuteur, Smike n’eut pas besoin d’être stimulé davantage pour faire tous les efforts et pour appeler à son aide toute l’énergie dont il était capable. Sans perdre un seul instant à réfléchir au chemin qu’il prenait, sans s’occuper de savoir s’il le conduisait chez lui, ou s’il ne l’éloignait pas au contraire, il se mit à fuir avec une vélocité surprenante et une persévérance infatigable. La crainte lui donnait des ailes, et la voix trop connue de Squeers semblait retentir à ses oreilles sous la forme de cris imaginaires poussés par une troupe d’ennemis acharnés à sa poursuite. Les sens troublés du pauvre garçon lui faisaient, pour ainsi dire, sentir déjà derrière lui leur haleine ; ils pressaient ses pas, ils suivaient sa piste, quelquefois distancés, il est vrai, dans cette course fantastique, mais quelquefois aussi gagnant sur lui du