Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/103

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terrain, selon les alternatives d’espérance ou de crainte dont il se sentait agité. Longtemps encore, après s’être convaincu que c’étaient de vains sons qui n’avaient d’existence que dans le désordre de son cerveau, il n’en continuait pas moins sa course toujours aussi impétueuse, que son épuisement et sa faiblesse ne pouvaient pas retarder d’un moment. Ce ne fut que lorsque l’obscurité et le silence d’une grande route dans la campagne le rappelèrent au sentiment des objets extérieurs, et qu’au-dessus de sa tête le ciel étoilé l’avertit de la marche rapide du temps, qu’enfin, couvert de sueur et de poussière, hors d’haleine, il s’arrêta pour écouter et regarder autour de lui.

Tout était calme et silencieux ; une masse de lumière dans le lointain, qui jetait sur le ciel une teinte enflammée, marquait la place de la grande cité. Les champs solitaires, séparés par des haies et des fossés, qu’il avait percés, franchis ou traversés dans sa fuite, bordaient la route des deux côtés du chemin. Il était tard. Smike était bien sûr qu’on ne pouvait l’avoir suivi à la trace par où il avait passé ; et, s’il devait espérer de retourner chez lui, c’était à coup sûr à l’heure qu’il était, à l’ombre d’une nuit déjà avancée. Smike lui-même, malgré son peu d’intelligence, encore aveuglé par la crainte, finit petit à petit par le comprendre. Il avait eu d’abord une idée vague, un idée enfantine, c’était de faire dix ou douze kilomètres dans la campagne, et de revenir ensuite chez lui par un large circuit, qui l’affranchirait du souci de passer par Londres, tant il appréhendait de traverser les rues tout seul et de s’y rencontrer encore en face de son terrible ennemi ; mais, cédant enfin à des inspirations plus raisonnables, il revint sur ses pas, prit la grande route, toujours avec crainte et tremblement, et se dirigea vers Londres d’un pied léger, presque aussi rapidement qu’il avait fui la résidence provisoire de M. Squeers.

À l’heure où il entra dans la ville par les quartiers de l’ouest, la plus grande partie des boutiques et des magasins étaient fermés ; la foule, qui était sortie vers le soir pour prendre l’air après un jour brûlant, avait déjà regagné ses pénates, excepté quelques traînards qui flânaient encore dans les rues avant d’aller retrouver leur lit, mais il en restait encore assez pour lui indiquer de temps en temps son chemin, et, à force de questions répétées, il finit par se trouver à la porte de Newman Noggs.

Newman avait justement passé toute cette soirée à courir par voies et par chemins dans les rues de traverse et dans tous les coins de la ville, à la recherche de la personne même qui ve-