Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/104

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nait soulever en ce moment son marteau, pendant que Nicolas avait fait de son côté des battues qui n’avaient pas été plus heureuses. Newman était donc assis à table, devant un misérable souper, d’un air triste et mélancolique, lorsque ses oreilles entendirent le coup timide et incertain donné par Smike à sa porte. Son inquiétude le tenait sur le qui-vive, attentif au moindre bruit. Aussitôt donc il descendit l’escalier, et poussant un cri de joyeuse surprise, entraîna derrière lui le visiteur inespéré dans le corridor et jusqu’au haut de l’escalier sans lui dire un seul mot. Ce ne fut que lorsqu’il l’eût déposé en sûreté dans son galetas, la porte bien fermée derrière eux, qu’il prépara une grande cruche de gin et d’eau ; il la porta à la bouche de Smike, comme on présente une tasse de ricin à la bouche d’un enfant rebelle, en lui recommandant de l’avaler jusqu’à la dernière goutte.

Newman parut singulièrement déconcerté en voyant que Smike ne faisait guère que tremper ses lèvres dans la précieuse composition qu’il avait préparée de ses mains. Déjà il levait la cruche pour s’en accommoder lui-même, en poussant un profond soupir de compassion pour la faiblesse de son pauvre ami, lorsqu’en entendant Smike commencer le récit de ses aventures, il arrêta son bras à mi-chemin, prêta l’oreille et resta en suspens, la cruche à la main.

Newman était assez drôle à voir changer, à chaque instant, d’attitude, à mesure que Smike avançait dans son récit. Il avait commencé par se redresser en se frottant les lèvres du revers de la main, cérémonie préparatoire pour se disposer à boire un coup ; puis, au nom de Squeers, il mit la cruche sous son bras, ouvrit de grands yeux et regarda devant lui, au comble de l’étonnement. Quand Smike en vint aux coups qu’il avait reçus dans le fiacre, l’autre se hâta de poser la cruche sur la table ; et se mit à arpenter la chambre de sa marche boiteuse, dans un état d’excitation impossible à décrire, s’arrêtant de temps en temps brusquement pour écouter avec plus d’attention. Lorsqu’il fut question de John Browdie, il retomba lentement et par degrés sur sa chaise, se frottant les mains sur les genoux avec un mouvement de plus en plus rapide, à mesure que la narration devenait plus intéressante, et finit par un éclat de rire combiné avec un cri bruyant de ha ! ha ! ha ! après quoi il demanda, d’un air inquiet et découragé, s’il y avait lieu de croire en effet que John Browdie et Squeers ne se seraient pas peignés par hasard.

« Non ! je ne pense pas, répliqua Smike, je ne crois pas que Squeers ait pu s’apercevoir de mon évasion avant que je fusse déjà bien loin. »