Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/116

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une grande influence. Il avait lui-même eu besoin de déployer l’éloquence la plus pathétique pour l’amener là ; il avait été bien formellement entendu qu’elle consentait purement et simplement à entendre la déclaration de Nicolas, sans prendre aucun engagement, ni rien promettre de ses dispositions à son égard. Quant au mystère de ses relations avec les frères Cheeryble, Newman ne pouvait en rien l’éclaircir ; il n’avait même voulu y faire aucune allusion, ni dans ses conversations préliminaires avec la servante, ni plus tard dans son entrevue avec la demoiselle ; il s’était borné à leur faire connaître qu’il avait été chargé de suivre la bonne, sans dire de quel endroit. Au reste, Newman, d’après quelques mots échappés à la domestique, avait conjecturé que la demoiselle menait une vie triste et misérable sous l’autorité rigoureuse de son père, homme d’un caractère violent et brutal. C’était même à cette circonstance qu’il attribuait la démarche de la demoiselle auprès des frères Cheeryble, pour se mettre sous leur protection et les intéresser à son sort, et le parti qu’elle avait pris à grand’peine d’accorder à Nicolas l’entrevue sollicitée pour lui. C’était, selon lui, une déduction logique dont la conséquence sortait naturellement des prémisses. N’était-il pas, en effet, tout naturel qu’une demoiselle, dans une situation si peu digne d’envie, n’eût rien de plus pressé que de changer de condition ?

On comprend que Newman, en raison de ses habitudes, n’était pas homme à donner tous ces renseignements d’une haleine, et qu’il fallut bien des questions pour tirer de lui ces longs détails. Nicolas sut de même que Noggs, allant au-devant du peu de confiance que pouvait inspirer le costume de l’ambassadeur, avait expliqué la modestie de son extérieur par la nécessité de prendre un travestissement pour mieux remplir ses fonctions délicates. Et, quand son ami lui demanda comment il avait été entraîné par son zèle jusqu’à solliciter une entrevue, il répondit qu’ayant trouvé la demoiselle bien disposée à cet égard, il avait cru satisfaire à la fois aux intérêts de sa cause et aux lois de la chevalerie, en profitant de cette précieuse occasion pour mettre Nicolas à même de pousser sa pointe. Après cent questions et cent réponses de ce genre, répétées plus de vingt fois, ils se séparèrent, se donnant rendez-vous pour le lendemain à dix heures et demie du soir, afin de ne pas manquer l’entrevue fixée à onze heures.

« Il faut avouer qu’il y a de drôles de choses dans le monde, pensait en lui-même Nicolas en revenant chez lui. Je n’avais jamais eu cette ambition, je n’en aurais même pas eu l’idée, tant