Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/127

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Catherine alors se leva de sa chaise un peu alarmée et prit sa mère par la main pour courir toutes les deux à la maison. Mais, chose singulière, elle sentait de la part de Mme Nickleby plus de résistance que d’empressement à la suivre, et, jetant les yeux du côté où regardait cette dame, elle fut tout à coup effrayée par l’apparition d’un vieux bonnet de velours noir qui, petit à petit, comme si celui qui en était armé montait une échelle ou un marchepied, s’élevait au-dessus du mur de séparation entre leur jardin et le cottage voisin. Quelques degrés de plus et le bonnet lui-même fut suivi d’une grosse tête et d’un vieux visage percé d’une paire d’yeux gris les plus extraordinaires du monde ; des yeux égarés, tout grands ouverts, roulant dans leur orbite avec un regard hébété, languissant, niais, hideux à voir.

« Maman ! cria Catherine véritablement épouvantée cette fois, ne vous arrêtez donc pas, ne perdez pas un instant ; venez donc, maman, je vous en prie.

— Catherine, ma chère, répondit sa mère en la retenant dans sa course, que vous êtes donc enfant ; je suis toute honteuse de vous voir comme cela. Comment pouvez-vous espérer de jamais vous tirer d’affaire dans la vie, si vous montrez toujours autant de faiblesse ?… Qu’est-ce que vous voulez, monsieur ? dit Mme Nickleby, s’adressant à l’étranger indiscret, avec un air de mécontentement démenti par son sourire. Pourquoi vous permettez-vous de venir regarder dans ce jardin ?

— Reine de mon âme ! répliqua l’autre en joignant ses mains pour l’implorer, buvez un petit coup dans ce gobelet.

— Mais c’est absurde, monsieur, dit Mme Nickleby… Catherine, ma mignonne, tenez-vous tranquille.

— Pourquoi ne voulez-vous pas boire un petit coup dans ce gobelet ? répéta l’étranger avec insistance, penchant la tête sur son épaule droite de l’air le plus suppliant, et posant sa main sur son cœur. Oh ! je vous en prie, un petit coup dans le gobelet.

— Je ne consentirai jamais à faire pareille chose, monsieur, dit Mme Nickleby ; je vous en prie, allez-vous-en.

— Pourquoi faut-il, dit le vieux monsieur, montant un échelon de plus et s’accoudant sur le mur avec autant d’aisance que s’il regardait par la fenêtre ; pourquoi faut-il que la beauté montre toujours un cœur si rebelle, même à une passion aussi honorable et aussi respectueuse que la mienne ? Ici il sourit, envoya des baisers avec sa main et fit plusieurs salutations très humbles. C’est la faute des abeilles qui, après la saison du miel,