Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lorsqu’on croit les avoir étouffées avec le soufre, s’envolent réellement en Barbarie, et vont, de leurs chants monotones, bercer le sommeil des Maures dans l’esclavage ; ou peut-être, ajouta-t-il baissant la voix et parlant du bout des lèvres, peut-être cela vient-il de ce que l’on a vu dernièrement la statue de Charing-Cross se promener à minuit en redingote devant la Bourse, bras dessus, bras dessous, avec la pompe de Old-Gate.

— Vous entendez, maman ? murmura Catherine.

— Chut, ma fille, répliqua Mme Nickleby du même ton ; vous voyez qu’il est très poli et je crois même qu’il nous faisait tout à l’heure une citation de quelque poète. Ne m’ennuyez donc pas comme cela… laissez-moi, vous me pincez jusqu’au sang… Retirez-vous d’ici, monsieur.

— D’ici ! dit le gentleman d’un air languissant ; oh oui, d’ici, certainement.

— Sans doute, continua Mme Nickleby, vous n’avez que faire ici ; vous n’êtes pas là chez vous, monsieur, vous devez le savoir.

— Je le sais bien, dit le vieux monsieur en mettant son doigt contre son nez avec un air de familiarité très répréhensible ; je sais que c’est ici un lieu sacré, enchanté, où les charmes les plus divins (ici nouveau baiser envoyé avec la main, nouvelles salutations très humbles), où les charmes les plus divins répandent sur les jardins d’alentour une vertu mellifique qui développe chez les fruits et les légumes une maturité précoce. Pour ce qui est de cela, je ne l’ignore pas. Mais voulez-vous me permettre, ô la plus belle de toutes les créatures, de vous faire une question pendant que la planète de Vénus est allée faire je ne sais quoi chez les Horseguards ? car si elle était là, jalouse comme elle est de la supériorité de vos appas, elle viendrait interrompre notre entretien.

— Catherine, dit Mme Nickleby se tournant vers sa fille, je suis bien embarrassée véritablement ; je ne sais que répondre à ce gentleman, et cependant, vous le savez, on ne doit jamais manquer de politesse.

— Chère maman, répondit Catherine, ne lui dites pas un mot, mais sauvons-nous à toutes jambes et enfermons-nous à la maison jusqu’au retour de Nicolas. »

Mme Nickleby prit alors de grands airs, pour ne pas dire des airs méprisants, à cette proposition humiliante ; et, se tournant vers le vieux monsieur, qui les observait avec une attention stupide pendant leurs pourparlers : « Monsieur, dit-elle, si vous voulez vous conduire en parfait gentleman, comme vous