Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/136

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tranche, et avaler le tout en deux fois, comme une couple de pilules ; et chaque fois qu’il sortait de faire un doigt de cour aux comestibles, il regardait à sa montre et déclarait, avec une impatience vraiment pathétique, qu’il ne lui était plus possible d’attendre seulement deux minutes de plus.

« Mathilde ! dit-il à sa femme, qui reposait sur un sofa, les yeux demi-ouverts, demi-fermés.

— Eh bien, John ?

— Eh bien, John ! répéta son mari impatienté ; voyons, ma fille, as-tu faim ?

— Pas beaucoup, dit Mme Browdie.

— Pas beaucoup ? répéta encore John levant les yeux au plafond ; peut-on dire pas beaucoup, quand nous avons dîné à trois heures et consommé seulement après un goûter de petits gâteaux, qui ne fait qu’irriter l’appétit d’un homme au lieu de l’apaiser ; pas beaucoup !

— Monsieur ! dit le garçon en passant la tête à la porte, voici un gentleman pour vous.

— Un quoi pour moi ? cria John, comme s’il avait compris que ce fût une lettre ou un paquet.

— Un gentleman, monsieur.

— Sapristi ! mon garçon, dit John, qu’est-ce que tu as besoin de venir me dire ça ? qu’il entre.

— Êtes-vous chez vous, monsieur ?

— Chez moi ! cria John, je voudrais bien y être ; il y a deux heures que j’aurais pris mon thé. Ah ça, puisque j’ai déjà dit à l’autre garçon de lui dire d’entrer et de se dépêcher, que nous mourions de faim, qu’il entre donc.

— Ah ! ah ! tiens ! donnez-moi la main, monsieur Nickleby. Par exemple, je peux bien dire que voilà un des beaux jours de ma vie. Comment allez-vous ? eh bien, c’est égal, je suis content de vous voir. »

Dans la chaleur de l’accueil cordial qu’il fit à Nicolas, John Browdie oublia qu’il avait faim ; il lui donnait à chaque instant une nouvelle poignée de mains en lui appliquant sur la paume une tape qui n’était pas mince, pour ajouter encore un témoignage plus frappant à ses démonstrations de satisfaction.

« Eh oui ! c’est elle, dit John, remarquant que Nicolas venait de regarder sa femme. La voilà, nous ne nous disputerons plus pour elle à présent. Ah chien ! quand je pense à ça !… Mais est-ce que vous ne voulez pas prendre un morceau ?… Prenez donc mon garçon ; tenez, pour tous les biens que nous allons recevoir, etc. »