Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/155

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me donner des renseignements sur elle ; et, dans tous les cas, ajoutait Nicolas pour répondre à son idée fixe, il ne peut pas y avoir de danger qu’elle ait eu une première inclination de ce côté, c’est évident. »

Serait-il vrai que l’égoïsme fût un ingrédient nécessaire dans la composition chimique de cette passion qu’on appelle l’amour ? ou bien vaut-il mieux croire toutes les belles choses qu’en ont dit les poètes, dans l’exercice de leur vocation infaillible ? Il y a sans contredit des exemples authentiques de messieurs qui ont cédé leurs dames ou de dames qui ont cédé leurs messieurs avec des circonstances qui font le plus grand honneur à leur magnanimité ; mais est-il aussi sûr que la majorité de ces messieurs et de ces dames n’ont pas fait de nécessité vertu, et n’ont pas noblement renoncé à ce qu’ils savaient bien ne pouvoir atteindre, à peu près comme un simple soldat de nos armées pourrait faire le vœu de ne jamais accepter l’ordre de la Jarretière, ou comme un pauvre curé, très pieux et très instruit, mais sans famille, je ne parle pas de ses enfants qui lui en font souvent une considérable, pourrait renoncer à un évêché ?

Voilà, par exemple, Nicolas Nickleby qui se serait reproché comme une bassesse de calculer en lui-même les chances que sa rencontre avec Frank pouvait lui donner d’accroître sa faveur auprès des frères Cheeryble ; le voilà déjà plongé dans un autre ordre de calculs bien plus déraisonnables. Ce même neveu ne serait-il pas par hasard son rival dans le cœur de la belle inconnue ? C’était une question qu’il discutait en lui-même avec autant de gravité que si, une fois réglée, elle devait décider toutes les autres : et il revenait incessamment sur ce sujet, tout indigné, tout contrarié qu’il y eût quelqu’un au monde qui se permît de faire la cour à une femme avec laquelle il n’avait pas échangé un seul mot dans toute sa vie.

À coup sûr, loin de méconnaître le mérite de sa nouvelle connaissance, il se le serait plutôt exagéré ; mais enfin c’était déjà de la part de son rival supposé, une espèce d’outrage personnel que d’avoir du mérite, du moins aux yeux de cette demoiselle seulement, car partout ailleurs, Nicolas lui permettait volontiers d’en avoir autant qu’il lui plairait. Vous voyez bien qu’il y avait dans tout cela un égoïsme véritable. Et pourtant Nicolas était une des natures les plus franches et les plus généreuses ; il n’y avait peut-être pas d’homme qui eût moins de pensées basses et sordides ; et nous n’avons aucune raison de supposer qu’amoureux fou comme il l’était, ses pensées et ses sentiments ne fussent pas en tout semblables à ceux de tous les gens qui se