Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/157

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aucun doute. Est-ce en Asie ? pas davantage. En Afrique ? pas le moins du monde. En Amérique ? vous savez bien vous-même le contraire. Eh bien ! alors, dit Timothée, en se croisant les bras, où est-ce ?

— Je n’avais pas l’intention de vous contester ce point-là, Timothée, dit le jeune Cheeryble, en riant. Je ne voudrais pas commettre une pareille hérésie. Tout ce que je voulais vous dire, quand vous m’avez interrompu, c’est que j’en suis très obligé à la coïncidence, voilà tout.

— Oh ! si vous ne me contestez pas ce point-là, dit Timothée en se radoucissant, c’est différent. Eh bien ! tenez, je vais vous dire : je n’aurais pas été fâché que vous me l’eussiez contesté ; je voudrais bien qu’on me le contestât, vous ou tout autre. Je vous aurai bientôt terrassé mon homme par un argument sans réplique, » ajouta Timothée en tapant doucement ses lunettes sur l’index de sa main gauche.

Comme il n’y avait là personne pour défendre contre Timothée les quatre parties du monde, ou plutôt pour subir l’échec honteux que lui aurait infailliblement procuré une telle témérité, Timothée ne poussa pas plus loin sa démonstration devenue inutile et remonta sur son tabouret.

« Frère Ned, dit Charles, après avoir donné à Timothée quelques petites tapes d’amitié dans le dos, nous devons nous trouver tout heureux d’avoir près de nous maintenant deux jeunes gens de la force de notre neveu Frank et de M. Nickleby : ce doit être pour nous une source de plaisir et de grande satisfaction.

— Certainement, Charles, certainement, répondit l’autre.

— Quant à Timothée, ajouta le frère Ned, ce n’est pas la peine d’en parler, c’est un petit garçon, un enfant que nous regardons comme rien du tout, et auquel il ne faut pas penser. Qu’est-ce que vous en dites de cela, monsieur Timothée, vilain garnement ?

— Je dis que je suis jaloux de vos deux favoris, et que je vais chercher une autre place. Ainsi vous n’avez qu’à vous pourvoir de votre côté, s’il vous plaît. »

Timothée trouva cette plaisanterie si délicieuse, si extraordinaire, si mirobolante, qu’il posa sa plume sur l’encrier, et descendant ou plutôt se précipitant de son siège, en dépit de ses habitudes méthodiques, il se mit à se pâmer de rire, secouant sa tête tout le temps si violemment qu’il s’en échappa une nuée d’atomes de poudre qui volèrent par tout le bureau. Les frères n’étaient pas en reste non plus, et riaient d’aussi bon cœur que lui à l’idée d’une séparation volontaire. Nicolas et Frank fai-