Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/159

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vait plus sa théière d’argent, dont le couvercle était surmonté d’un bouton en ivoire, ni son petit pot au lait assorti, qui avaient fait la joie de son cœur dans le temps jadis, et qu’elle avait bien soin de garder toute l’année d’un bout à l’autre, enveloppés dans leur coiffe de chamois sur une certaine tablette tout en haut, que son imagination attristée lui représentait encore avec les plus vives couleurs, comme si elle y était.

« Je me demande qui est-ce qui a acheté à la vente cette boîte aux épices, dit Mme Nickleby en secouant la tête ; elle était toujours dans le coin à gauche, tout près des oignons confits. Vous vous rappelez cette boîte aux épices ? Catherine.

— Parfaitement, maman.

— Je serais tentée de croire qu’il n’en est rien, Catherine, répondit Mme Nickleby d’un ton sévère, à voir l’air froid et indifférent dont vous en parlez. Il y a dans les pertes que nous avons faites, je l’avoue, quelque chose qui m’est plus pénible encore que ces pertes mêmes, soyez-en sûre, Catherine, je vous le dis sincèrement, et Mme Nickleby se frottait le nez de l’air le plus contrarié du monde, c’est de voir autour de moi des gens qui prennent les choses avec un si beau calme et une froideur si désespérante.

— Ma chère maman, dit Catherine glissant doucement son bras autour du cou de sa mère, pourquoi dire des choses que je sais bien que vous ne pensez pas ? Comment voulez-vous que je croie sérieusement que vous êtes fâchée de me voir heureuse et contente ? Vous et Nicolas, vous me restez tous les deux ; nous voici réunis encore une fois : cela ne vaut-il pas bien quelques misérables bagatelles dont nous ne sentons jamais le besoin ? Après que j’ai vu de mes yeux toute la misère et la désolation que la mort peut traîner après elle, que j’ai connu la douleur de vivre seule et solitaire au milieu même de la foule, que j’ai passé par l’agonie d’une séparation cruelle au sein de l’affliction et de la pauvreté, qui nous auraient rendu plus nécessaire la consolation de les supporter ensemble, pouvez-vous vous étonner que je trouve ici un lieu de tranquillité et de repos, où, vous sentant à mes côtés, je ne sens plus ni désir, ni regret ? Il fut un temps, ce n’est pas encore bien loin de nous, où toutes les douceurs de notre ancienne existence revenaient souvent tourmenter ma mémoire, je l’avoue, plus souvent peut-être que vous ne pouvez croire ; mais j’affectais de ne point y penser, dans l’espérance que je réussirais à vous les faire moins regretter à vous-même. Ah ! non, je n’étais pas insensible. Plût à Dieu que je l’eusse été, j’en aurais été plus heureuse. Chère maman, dit