Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/16

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— Vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous de ce qui vous arrive, Alfred, reprit Mme Mantalini d’un ton de reproche encore, mais d’un ton de reproche adouci.

— Oui, je le sais, cria M. Mantalini en faisant semblant de se tirer les cheveux ; je suis un vilain animal. Mais je sais bien ce que je vais faire. Je vais changer un napoléon en gros sous, j’en lesterai mes poches et j’irai me noyer dans la Tamise. Mais, c’est égal, même noyé je ne serai pas fâché contre elle, car je mettrai en route une lettre à la poste pour lui dire où elle trouvera le corps. Quelle charmante veuve cela va faire ! et moi, je ne serai plus qu’un cadavre. Il y a bien des jolies femmes qui pleureront ; mais elle, elle rira comme un diable.

— Alfred, méchant, cruel que vous êtes ! dit Mme Mantalini qui ne put s’empêcher de sangloter à cet horrible tableau.

— Elle m’appelle cruel, moi ! moi qui vais pour l’amour d’elle faire de mon corps un vilain cadavre tout froid et tout humide ! s’écria M. Mantalini.

— Vous savez, répliqua Mme Mantalini, que rien que de vous entendre parler de ces choses-là, cela me fend le cœur.

— Eh quoi ! voulez-vous que je vive pour être l’objet de votre méfiance ? cria son mari. Quoi ! j’aurai coupé mon cœur en je ne sais combien de mille petits morceaux, que je lui ai donnés tous l’un après l’autre, à cette charmante petite diablesse d’enchanteresse, et cela pour vivre en butte à ses soupçons ! nom d’un chien ! non, c’est impossible.

— Demandez à M. Nickleby si la somme dont j’ai parlé n’est pas raisonnable, répondit Mme Mantalini.

— Je me moque bien d’une somme ! répliqua son mari inconsolable, je me moque bien de vos odieuses pensions, eh bien ! je serai cadavre, voilà tout. »

Mme Mantalini ne put entendre M. Mantalini répéter cette fatale menace sans se tordre les mains, sans implorer l’intervention de Ralph Nickleby.

Enfin, après bien des pourparlers, après une vaste quantité de larmes, après plusieurs tentatives de M. Mantalini pour se diriger du côté de la porte, dans l’intention d’aller immédiatement commettre quelque acte de violence contre lui-même, ce généreux gentleman se laissa fléchir, et finit par promettre, non sans peine, qu’il ne deviendrait pas cadavre. Une fois ce point important obtenu, Mme Mantalini remit sur le tapis la question de la pension. M. Mantalini recommença ses refus, répétant toujours qu’il vivrait avec le plus grand plaisir, de pain et d’eau, qu’il n’avait aucune répugnance à traîner la savate. La seule