Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/17

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existence à laquelle il ne pouvait se résigner, c’était de se voir en butte à la défiance de l’objet de son affection la plus dévouée et la plus désintéressée. Nouvelles larmes de Mme Mantalini, dont les yeux, faiblement ouverts par quelques révélations récentes sur les défauts de M. Mantalini, ne demandaient pas mieux que de se fermer encore en sa faveur ; aussi le résultat de toute cette scène fut que Mme Mantalini n’abandonna pas précisément, mais ajourna la question de la pension. Ralph ne s’y trompa pas ; il vit bien que M. Mantalini venait de contracter un nouveau bail de sa vie désordonnée, et que, dans tous les cas, ce n’était pas encore pour cette fois que seraient consommés sa chute et sa ruine.

« Mais, se disait Ralph, cela ne peut toujours pas tarder ; n’est-ce pas l’histoire de tous les amours (quand je pense qu’il faut parler le jargon des petits garçons et des petites filles) ? L’amour donc est bien volage, et pourtant celui peut-être qui dure le plus longtemps, apparemment parce qu’il naît d’un plus grand aveuglement et qu’il est entretenu par la vanité, c’est celui qui n’a pas d’autres racines que l’attrait d’une tête à moustaches, comme ce méchant babouin. Qu’est-ce que cela me fait ? tout cela amène l’eau à mon moulin ; laissons-les donc continuer leur folie ; plus elle durera, plus elle me rapportera. »

Telles étaient les réflexions agréables dont s’occupait Ralph Nickleby, pendant que l’heureux couple échangeait une foule de petites caresses et de petits soins tendres qu’il avait l’air de ne pas voir.

« Si vous n’avez plus rien à dire à M. Nickleby, mon cher ami, dit Mme Mantalini, nous allons lui souhaiter le bonjour, car j’ai peur que nous ne l’ayons déjà retenu que trop longtemps. »

M. Mantalini, en réponse à cette invitation, commença par donner de son doigt léger quelques petits coups sur le nez de Mme Mantalini ; puis il finit par déclarer qu’il n’avait plus rien à dire.

« Ah chien ! mais si, ajouta-t-il presque aussitôt, entraînant Ralph dans un coin de la chambre : à propos ! et l’affaire de votre ami sir Mulberry ! Voilà une diable d’aventure ! la plus étrange que j’aie jamais vue !… hein ?

— Que voulez-vous dire ? demanda Ralph.

— Comment, diable ! vous ne savez donc pas ?…

— Je ne sais, répondit Ralph avec un grand sang-froid, que ce que je lis ce matin dans le journal : qu’il est tombé de son cabriolet hier soir, qu’il s’est fait beaucoup de mal, et que sa vie