Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/167

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mencer par lui tordre le nez. Cependant, en rencontrant l’œil de Ralph, il rappela ses doigts prêts à s’égarer, et se frotta lui-même le nez avec une véhémence tout à fait étonnante.

Ralph, qui n’avait point pénétré ses intentions excentriques, se contenta de jeter sur son commis un regard menaçant, en lui recommandant d’avoir soin de ne pas faire d’erreur, prit ses gants et son chapeau et sortit.

Il fallait qu’il eût une clientèle bien extraordinaire et bien mélangée, car il faisait des visites tout à fait hétérogènes, tantôt dans de riches hôtels, tantôt dans de pauvres petites maisons : mais elles se ressemblaient toutes à ses yeux par un but commun, l’argent. Sa figure était un talisman pour les portiers et les serviteurs de ses clients opulents, et le faisait admettre à l’instant, quoiqu’il trottât à pied, pendant qu’il en voyait d’autres refusés à la porte, avec leurs beaux équipages. Ici, son ton était doux et sa civilité servile ; son pas léger rebondissait sans bruit sur le tapis moelleux. Sa voix murmurante n’était entendue que de la personne même à laquelle elle s’adressait. Mais dans les habitations pauvres, Ralph n’était plus le même homme : dès son entrée dans le corridor, ses bottes craquaient hardiment ; en demandant l’argent qui lui était redû, sa voix était haute et aigre, ses menaces étaient grossières et insolentes. Il avait encore une autre classe de pratiques chez lesquelles il jouait un personnage tout différent. C’étaient les procureurs de réputation véreuse, qui lui prêtaient leur ministère pour contracter des affaires nouvelles ou tirer de nouveaux profits d’affaires déjà anciennes. Là, Ralph avait l’humeur familière et plaisante ; il s’égayait sur les nouvelles du jour, et n’était jamais plus agréable que sur les banqueroutes et les difficultés pécuniaires qui faisaient aller son négoce. Bref, il eût été difficile de reconnaître ce Janus multiple sous tant de visages divers, sans le volumineux portefeuille de cuir plein de billets et d’obligations qu’il tirait de sa poche en entrant dans chaque maison, et l’éternel refrain de ses plaintes uniformes, chanté seulement sur des airs différents, « de ce que le monde le croyait riche, et qu’en effet il devrait l’être s’il avait ce qu’on lui devait. Mais quoi ! quand une fois l’argent était dehors, il ne voulait plus rentrer, ni intérêt, ni principal, et l’on avait bien du mal à vivre, je dis à vivre au jour le jour. »

Quand il avait fait sa tournée jusqu’à Pimlico, en prenant seulement le temps de faire en route un piètre dîner dans quelque cuisine bourgeoise, Ralph revenait chez lui tout le long du parc de Saint-James.