Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/186

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En s’entendant apostropher, M. Squeers, qui était resté en arrière, dans le corridor, à attendre le moment où son apparition serait utile pour faire son entrée avec plus d’effet, se vit obligé de ne pas la différer davantage, et se présenta comme un intrus, d’un pas timide et d’un air piteux. John ne put s’empêcher d’en rire d’une gaieté si franche et si divertissante que Catherine elle-même, au milieu de cette scène de surprise et d’inquiétude pénible, eut bien de la peine à ne pas faire comme lui, tout en roulant des larmes dans ses yeux.

« Quand vous aurez fini de vous amuser, monsieur…, dit Ralph impatienté.

— C’est à peu près fini pour le quart d’heure, répliqua John.

— Ne vous gênez pas, monsieur, j’ai le temps. »

Et, en effet, Ralph attendit qu’il y eût un parfait silence ; puis, se tournant du côté de Mme Nickleby, mais sans quitter des yeux le visage de Catherine, parce qu’il tenait beaucoup à surveiller l’effet qu’il produisait sur elle :

« Maintenant, madame, dit-il, écoutez-moi : je n’imagine pas que vous soyez pour rien dans une très belle tartine que m’a adressée ce petit jeune homme, votre fils ; je ne sais que trop que, soumise à sa volonté, vous n’êtes pas libre de faire la vôtre ; que vos conseils, votre opinion, vos désirs, tout ce qui devrait avoir, selon la nature et la raison, quelque influence sur lui (car autrement à quoi pourrait servir votre haute expérience ?), ne sont absolument d’aucun poids et ne comptent pour rien dans ses décisions. »

Mme Nickleby secoua la tête en soupirant ; elle semblait dire : « il y a du bon dans ce qu’il dit, certainement. »

« C’est pour cette raison, en partie, et aussi parce que je n’ai pas envie de me laisser déshonorer par les actes d’un petit drôle que moi je me suis vu obligé de renier et qui, après cela, dans sa majesté risible, fait semblant,… ah ! ah ! de me renier lui-même, que je me présente ici ce soir. Ma visite a encore un autre motif, un motif d’humanité : je viens ici, ajouta-t-il promenant ses regards autour de lui avec un sourire provoquant et victorieux, traînant et pesant sur les mots comme s’il ne voulait rien perdre du plaisir de les prononcer ; je viens rendre un fils à son père, un fils égaré, entraîné, dérobé, peut-être, et séquestré par vos soins, dans l’intention odieuse de lui voler quelque jour la malheureuse petite portion d’héritage qui pourrait lui revenir.