Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/188

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— Les os je ne dis pas, reprit John Browdie, mais la chair, il n’y en a guère. »

M. Snawley, absorbé dans les mouvements de sa sensibilité paternelle, ne releva pas cette remarque inconvenante, et, pour mieux s’assurer que son fils lui était bien rendu, il lui fourrait encore sous son bras la tête qu’il tenait prisonnière.

« Qu’est-ce qui faisait, dit Snawley, que je pris tout de suite à lui un si grand intérêt quand ce digne instituteur me l’a ramené dernièrement chez moi ? qu’est-ce qui faisait que je brûlais du désir de le châtier sévèrement pour s’être ainsi dérobé par la fuite aux soins de ses meilleurs amis, ses maîtres et ses pasteurs ?

— C’était l’instinct paternel, monsieur, dit Squeers.

— Vous l’avez dit, monsieur, répliqua Snawley, c’était ce sentiment élevé que l’on trouve partout, soit dans l’antiquité, chez les Romains et les Grecs, soit aujourd’hui même chez les bêtes qui courent les champs comme chez les oiseaux qui volent dans l’air ! excepté pourtant chez les lapins et les matous, qui dévorent quelquefois leur progéniture. Comme mon cœur soupirait après lui ! je l’aurais… je ne sais pas ce que je ne lui aurais pas fait pour soulager la colère paternelle que m’avait inspirée sa fuite.

— C’est ce qui fait bien voir, monsieur, ce que c’est que la nature, dit M. Squeers ; c’est une bien drôle de chose, allez, que la nature !

— Oui, c’est une sainte chose, monsieur, reprit Snawley.

— Je crois bien, ajouta M. Squeers avec un soupir de componction ; je voudrais bien savoir comment nous ferions sans elle. La nature, dit M. Squeers d’un ton solennel, elle est plus facile à concevoir qu’à décrire ; ah ! monsieur, quel bonheur si on restait toujours dans l’état de naturel. »

Pendant ce dialogue philosophique, les assistants étaient restés dans une espèce de stupeur : Nicolas n’en revenait pas ; il promenait ses yeux perçants de Snawley à Squeers, de Squeers à Ralph, partagé entre le dégoût, le doute et la surprise ; Smike profita de ce moment de repos pour échapper à son père et se réfugier près de Nicolas, le suppliant, dans les termes les plus émouvants, de ne jamais l’abandonner, de le laisser vivre et mourir près de lui.

« S’il est vrai que vous soyez le père de ce jeune homme, dit Nicolas, regardez le triste état où il est, et dites-moi si vous avez, en effet, l’intention de le renvoyer dans ce repaire honteux d’où je l’ai tiré ?