Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/206

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n’était plus ? Il n’y avait pas de si mince ornement qui ne fût un témoin de son courage et de sa patience ; elle y avait consacré ses heures de loisir ; elle y avait répandu cette grâce charmante dont la main d’une femme sait embellir avec goût tous les petits objets qu’elle touche ; elle y avait laissé comme l’empreinte des soins délicats qu’elle en avait pris. Nicolas croyait voir la petite chambre animée d’un sourire céleste ; il lui semblait que le dévouement éclatant d’une si faible et si jeune créature, avait illuminé d’un de ses rayons les objets inanimés dont il était entouré, pour les rendre aussi éclatants que lui-même ; il lui semblait voir l’auréole dont les anciens peintres environnent la tête des anges et des séraphins dans un monde d’innocence et de pureté, se jouer autour d’un ange comme eux. L’illusion était complète ; la lumière de l’auréole était visible à ses yeux.

Et cependant Nicolas était dans les limites de la prison du banc du roi ! Encore, si la scène s’était passée en Italie, au coucher du soleil, sur quelque terrasse splendide ! Mais, qu’importe ? n’y a-t-il pas un ciel vaste qui couvre le monde entier ? Qu’il soit bleu d’azur ou chargé de nuages, n’y a-t-il pas derrière ce premier ciel un ciel qui se révèle aussi brillant à tous les cœurs ? C’est celui-là sans doute que voyait Nicolas, et dont ses pensées avaient emprunté l’éclat radieux.

Il ne faudrait pas croire qu’il eût tout aperçu d’un coup d’œil ; au contraire, il ne s’était pas même douté jusque-là de la présence d’un malade étendu dans un fauteuil, la tête soutenue sur des oreillers, et qui, à force de se mouvoir sans cesse et sans repos dans son impatience, finit par attirer son attention.

C’était un homme qui avait à peine cinquante ans, mais que sa maigreur faisait paraître beaucoup plus âgé. Ses traits présentaient les restes d’une belle figure, quoique les traces de l’âge n’eussent pu dissimuler l’ardeur des passions impétueuses et violentes, au lieu d’y reproduire l’expression d’émotions plus douces, qui donnent souvent plus d’attraits à des visages moins favorisés de la nature. Il avait le regard effaré ; son corps et ses membres étaient usés jusqu’aux os, mais on voyait encore dans son grand œil, au fond de son orbite, quelque chose de l’ancienne flamme qui l’animait. Elle semblait même se raviver encore pendant qu’il frappait, à coups redoublés, le parquet d’un gros bâton sur lequel il s’appuyait dans son fauteuil, et qu’il appelait, avec impatience, sa fille par son nom.

« Madeleine, qui est-ce ? Nous n’avons besoin de personne ici. Qui est-ce qui a laissé entrer un étranger ? De quoi s’agit-il ?