Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à deux battants, et le ferma sur lui dans l’intention de s’échapper aussitôt que Ralph serait entré lui-même dans son cabinet.

« Noggs ! cria Ralph, où est-il fourré ?… Noggs ! »

Mais pas plus de Noggs que s’il n’existait pas.

« Je suis sûr que l’animal est allé dîner malgré ma défense, murmura Ralph en regardant dans le bureau et en tirant sa montre pour voir l’heure… Hum ! hum ! tenez ! Gride, vous ferez aussi bien de venir ici ; mon commis est sorti et le soleil donne dans mon cabinet. Cette pièce est à l’ombre et, si cela vous est égal, nous serons plus au frais.

— Cela m’est égal, monsieur Nickleby, tout à fait égal. Je ne tiens pas à une chambre plutôt qu’à une autre. Ah ! comment donc ; mais on est très bien ici, très bien ! »

L’individu que nous présentons ici pour la première fois aux lecteurs était un petit vieillard de soixante-dix à soixante-quinze ans, très maigre, très courbé, avec une légère déviation de la colonne vertébrale. Il portait un habit gris à collet très étroit, un gilet de soie noire à raies d’un très ancien modèle et un pantalon si court qu’il laissait voir dans toute leur laideur ses jambes de fuseau. Les seuls ornements qui rehaussaient sa toilette étaient une chaîne de montre en acier à laquelle pendillaient de grands cachets en or et un ruban noir destiné, d’après une mode déjà si ancienne qu’elle était même alors surannée, à réunir par derrière ses cheveux gris en une petite queue. Son nez et son menton étaient pointus et saillants ; ses mâchoires étaient rentrées en elles-mêmes, faute de dents pour les retenir. Sa figure était ridée et jaunâtre, excepté vers les pommettes de ses joues, bariolées par les couleurs panachées d’une pomme de reinette à la fin de l’hiver. À la place où jadis avait été sa barbe on voyait encore quelques touffes grises dont l’apparence grêle et languissante semblait, comme ses sourcils râpés, protester contre la stérilité du sol où elles prenaient leur nourriture. Toute sa tournure, son air, son attitude, représentaient la docilité basse et rampante du chat ; et, quant à l’expression de sa figure, elle consistait uniquement dans certains plis du coin de l’œil qui laissait lire, dans son regard rusé, un mélange d’astuce, de libertinage, de sournoiserie et d’avarice. Tel est le portrait véritable du vieil Arthur Gride qui n’avait pas une ride à la face, ni dans tout son costume le moindre pli qui ne rappelât la ladrerie la plus avide et la plus rapace, et qui ne le désignât clairement comme appartenant à la même catégorie sociale que M. Ralph Nickleby. Tel est le portrait véritable du vieil Arthur Gride tel qu’il était, assis sur une chaise