Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/213

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de canne, les yeux levés sur la figure de Ralph Nickleby qui, du haut du grand tabouret sur lequel il se balançait, les bras étendus sur ses genoux, plongeaient aussi ses yeux dans ceux de son visiteur pour percer ses intentions secrètes ; car il savait bien que, quelle que fût l’affaire qui l’amenait, ils seraient à deux de jeu.

« Et comment vous êtes-vous porté ? dit Gride feignant un vif intérêt pour la santé de Ralph ; car je ne vous ai pas vu depuis… non, ma foi, pas depuis…

— Pas depuis longtemps, dit Ralph avec un sourire particulier qui voulait dire qu’il n’était pas la dupe de ces formules de compliment, et qu’il savait bien que ce n’était pas pour cela que son ami était venu lui rendre visite. Il s’en est peu fallu que vous ne me vissiez pas, car je venais justement de mettre la clef dans la porte quand vous avez tourné le coin de la rue.

— J’ai du bonheur ! reprit Gride.

— C’est ce qu’on dit, » répliqua Ralph sèchement.

Le vieil usurier branla le menton et se mit à sourire, mais sans faire aucune autre observation, et ils restèrent tous les deux un petit bout de temps sur leurs chaises sans rien dire. Chacun d’eux observait l’autre, pour l’attaquer à son avantage.

« Eh bien ! Gride, dit Ralph à la fin, d’où vient le vent aujourd’hui ?

— Ha ! ha ! monsieur Nickleby, vous êtes un homme terrible, cria l’autre, charmé de voir que Ralph le mît lui-même sur la voie pour lui parler d’affaires ; Dieu de Dieu ! quel terrible homme vous faites !

— Bah ! répondit Ralph, je vous parlais comme cela parce que vous avez, vous, des manières câlines et des allures glissantes. Je ne dis pas que cela ne vaille pas mieux, mais je n’ai pas la patience de procéder comme cela.

— Vous êtes un vrai génie de nature, monsieur Nickleby, dit le vieil Arthur, et si profond, ah !

— Assez profond, répondit Ralph, pour savoir que j’ai besoin de l’être le plus que je peux, quand des hommes comme vous se mettent à me faire des compliments. Vous savez que je vous ai vu de près flatter et cajoler les gens, et je n’ai pas oublié ce qu’il leur en coûtait !

— Ha ! ha ! ha ! reprit Arthur en se frottant les mains, ah ! vous vous le rappelez, cela ne m’étonne pas, il n’y a pas d’homme comme vous pour ces choses-là, et vraiment j’ai bien du plaisir à voir que vous vous rappelez le bon vieux temps. Ah ! Dieu !