Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/214

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— À présent, dit Ralph avec un grand sang-froid, voyons, d’où vient le vent, encore une fois ? Qu’est-ce qui vous amène ?

— Là, là ! voyez ! cria l’autre, il ne peut pas même parler du bon vieux temps sans passer tout de suite aux affaires positives. Ah ! Dieu de Dieu ! quel homme !

— Et quelle est cette affaire du bon vieux temps que vous venez remettre sur le tapis ? car je sais bien que vous ne venez que pour cela, et qu’autrement vous ne parleriez pas tant du bon vieux temps.

— Il se méfie de tout le monde ; moi-même il me soupçonne, cria le vieil Arthur en levant les mains au ciel. Moi-même ! Grand Dieu ! Même moi ! Quel homme ! Il n’y a qu’un Nickleby dans le monde ; je ne connais personne comme lui. C’est un géant, nous ne sommes que des pygmées. Un géant, un vrai géant ! »

Ralph regardait avec un sourire tranquille le vieux renard rire ainsi d’un air affecté, pendant que Newman Noggs, dans son armoire, se sentait le cœur faillir à mesure que l’image de son dîner devenait de plus en plus problématique.

« C’est égal, cria le vieil Arthur, il faut que j’en passe par où il veut ; il n’y a pas à le contrarier ; l’homme de tête, comme disent les Écossais, et les Écossais ne sont pas bêtes, ne cause que d’affaires et ne donne pas son temps gratis ; et il a bien raison, le temps est de l’argent. C’est de l’argent que le temps !

— Il faut que ce soit vous ou moi qui ayons fait ce proverbe, dit Ralph. Je crois bien que le temps est de l’argent, et de bon argent encore, pour ceux à qui il rapporte intérêt. Le temps est de l’argent ! Bien mieux, c’est qu’il en coûte aussi, de l’argent ; il n’y a même pas d’article plus dispendieux. Je sais des gens qui pourraient en dire quelque chose ou je ne m’y connais pas. »

En réponse à cette saillie, le vieil Arthur recommença de lever les mains au ciel et de s’écrier au milieu de son rire étouffé : « Quel homme ! » Après quoi il approcha sa chaise basse un peu plus près du tabouret de Ralph, et de là, fixant les yeux sur sa figure impassible :

« Qu’est-ce que vous diriez, lui demanda-t-il, si j’allais vous annoncer que je vais…, que je vais me marier ?

— Mais je dirais, répliqua Ralph, en abaissant froidement les yeux sur lui, que vous avez vos raisons pour me faire un mensonge, et que ce n’est pas la première fois, pas plus que ce ne sera la dernière. Je dirais que vous ne me surprenez pas et que je ne me laisse pas prendre à ça.

— Eh bien ! je vous annonce sérieusement que je vais le faire, dit le vieil Arthur.