Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/228

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en nous faisant croire qu’il ne songe qu’au bonheur de sa fille et point du tout au sien ; en jouant un rôle de père vertueux si prévoyant, si tendre pour sa fille, qu’elle aura peine à le reconnaître. J’ai vu tout à l’heure, dans l’œil de Madeleine, une larme de douce surprise ; avant peu elle en versera beaucoup des larmes de surprise ; mais elles ne seront pas si douces. Allez ! nous pouvons attendre avec confiance la semaine prochaine. »


CHAPITRE XVI.

Au bénéfice de M. Vincent Crummles, et bien décidément pour sa dernière représentation sur notre théâtre.

Ce fut le cœur bien gros et bien triste que Nicolas, accablé par une foule d’idées pénibles, reprit son chemin vers le comptoir des frères Cheeryble. Toutes les vaines espérances dont il s’était bercé, toutes les visions agréables qui avaient assailli son esprit et qui s’étaient groupées autour de la belle image de Madeleine Bray étaient maintenant dissipées sans qu’il restât le moindre vestige de leurs brillantes illusions.

Ce serait faire injure à la nature honnête de Nicolas et méconnaître la magnanimité de son caractère de supposer que la révélation du secret mystérieux dont jusque-là Madeleine Bray était entourée, au point qu’il ignorait même son nom, avait calmé son ardeur ou refroidi les flammes de sa passion. S’il avait eu pour elle auparavant un de ces sentiments que les jeunes gens tiennent toujours prêts pour les attraits de la beauté, il éprouvait maintenant au-dedans de lui-même que les siens étaient bien plus forts et plus profonds ; mais le respect dû à ce cœur innocent et pur, les égards que méritait sa situation solitaire et abandonnée, la sympathie naturelle qu’on ressent pour les épreuves d’une femme si jeune et si belle, ou l’admiration qu’inspirait son grand et noble caractère, tout semblait l’élever dans une sphère où il ne pouvait l’atteindre ; tout en imprimant à son amour plus de force et de vivacité respectueuse, lui murmurait tout bas à l’oreille que cet amour était sans espoir.

« Je tiendrai ma parole, je ferai ce que je lui ai promis, dit Nicolas avec fermeté. La mission que j’ai à remplir n’est pas ordinaire ; le double devoir qui m’est imposé, je veux l’accom-