Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/227

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aise de vous le dire. Je vous devais de l’argent ; ce n’est pas votre faute… Ma chère Madeleine, votre main à Gride !

— Grand Dieu ! si mademoiselle daignait !… Seulement le bout des doigts, » dit Arthur hésitant à avancer sa main et la retirant timidement après. Madeleine recula involontairement devant cette figure de marmouset ; cependant, docile à son père, elle lui mit dans la main le bout des doigts, qu’elle retira aussitôt. Arthur allait les serrer pour les porter à ses lèvres, lorsque, trompé dans son attente par leur retraite précipitée, il en fut quitte pour appliquer à ses propres doigts un baiser amoureux après lequel il se mit à suivre, avec une foule de grimaces tendres et passionnées, son ami, qui déjà l’attendait dans la rue.

« Eh bien ! qu’en dites-vous ? qu’en dites-vous ? Qu’en dit le géant au pygmée ? demanda Arthur Gride en rejoignant Ralph.

— Qu’en dit le pygmée au géant ? répondit Ralph relevant ses sourcils et jetant sur son questionneur un regard de mépris.

— Le pygmée ne sait que dire, répliqua Arthur Gride, il est entre la crainte et l’espérance ; mais n’est-ce pas que c’est un friand morceau ? »

Ralph répondit en grognant qu’il n’avait pas grand goût pour la beauté.

« Mais moi, j’en ai, dit Arthur en se frottant les mains. Ah ! Dieu ! comme ses yeux étaient jolis pendant qu’elle se penchait tendrement sur lui. Quels longs cils ! Quelle frange délicate ! Elle… elle… me regardait si doucement !

— Pas bien amoureusement, toujours, dit Ralph.

— Ah ! vous ne trouvez pas, répliqua le vieil Arthur ; mais, est-ce que vous ne pensez pas que cela pourra venir ?… Qu’en dites-vous ? »

Ralph, en le regardant, fronça le sourcil d’un air dédaigneux et lui dit en ricanant entre ses dents :

« Avez-vous remarqué qu’il lui a dit qu’elle était fatiguée, qu’elle travaillait trop, qu’elle faisait plus que ses forces ?

— Oui ; eh bien ?

— Croyez-vous qu’il lui en ait jamais ouvert la bouche auparavant ? Et puis encore, quand il lui a dit qu’elle ne pourrait résister à cette vie-là ? Allez ! allez ! il va bientôt lui faire changer de vie.

— Alors, vous croyez donc la chose faite ? dit le vieil Arthur en fixant sur son compagnon ses petits yeux libidineux.

— Je regarde cela comme une chose faite, dit Ralph ; il en est déjà à chercher à se justifier lui-même à nos propres yeux,