Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/242

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Ce n’est pas qu’il eût à se reprocher de les avoir troublés par la moindre plainte ou par le plus léger murmure ; il ne songeait qu’à une chose, à multiplier tous les petits services qu’il pouvait leur rendre, à leur renvoyer au moins, en échange de leurs bienfaits, un visage heureux et content, de cacher à leurs yeux amis tous les signes qui auraient pu leur faire lire dans ses traits quelque sombre pressentiment ; mais il avait beau faire : souvent, trop souvent, elles voyaient bien que son œil brillait d’un éclat fiévreux dans cette orbite cave où il était enfoncé ; que sa joue creuse était animée d’un teint trop coloré ; que sa respiration était lourde et gênée ; que sa constitution tout entière devenait de plus en plus faible et épuisée.

Il faut avouer que c’est un terrible mal que celui qui se plaît à préparer ainsi sa victime d’avance, à la mûrir pour la mort ; qui, tous les jours, semble raffiner les dehors grossiers de sa proie ; qui écrit tous les jours dans ses traits, pour l’œil familier qui sait y lire, les signes infaillibles de la prochaine métamorphose ; mal terrible, en effet, où la lutte entre l’âme et le corps est si lente, si calme, si solennelle, et pourtant d’un progrès si sûr que, jour par jour, atome par atome, la partie mortelle dépérit et disparaît, pendant que l’esprit plus vif et plus léger, à mesure qu’il se dégage de son fardeau et sent venir l’immortalité, n’a l’air de regarder sa transformation que comme une étape de la vie mortelle ! Mal étrange où la vie et la mort sont si étroitement unies et mêlées ensemble, qu’il semble que la mort emprunte à la vie ses couleurs chaudes et vives comme la vie emprunte à la mort ses formes sèches et décharnées ! Mal rebelle, incurable à la médecine, inexorable pour le riche comme pour le pauvre, qui tantôt s’avance à pas de géant, tantôt marche languissamment d’un pied tardif, mais qui, lent ou précipité, est toujours sûr d’arriver à son but.

Quoique l’esprit de Nicolas se refusât à y croire, il n’avait pu s’empêcher de songer quelquefois à ce mal affreux et c’est pour cela qu’il avait fait examiner Smike par un des premiers médecins de Londres. Le docteur avait déclaré qu’il ne voyait point de sujet de s’alarmer encore, que les symptômes actuels n’étaient pas de nature à motiver une réponse décisive ; certainement la constitution avait éprouvé dès le bas âge un choc bien violent, mais pourtant on ne pouvait encore rien affirmer ; le docteur n’en disait pas davantage.

Cependant, au bout du compte, Smike n’avait pas l’air d’empirer, et, comme il n’était pas difficile de trouver dans les tourments et l’agitation de ces dernières épreuves des raisons suffi-