Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/252

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sentait bien que des explications étaient devenues nécessaires, mais partagée, comme elle l’était, entre la terreur qu’elle avait éprouvée à l’apparition des jambes de l’amoureux, la crainte que le propriétaire des bas gris ne fût réellement suffoqué, l’embarras de trouver à cette scène mystérieuse une solution qui ne fût pas trop ridicule, elle était hors d’état de prononcer un mot.

« Il me fait beaucoup de peine, reprit Mme Nickleby séchant ses larmes, beaucoup de peine ; mais pourtant qu’on ne lui enlève pas un cheveu de la tête, je vous en conjure ; pas un cheveu de la tête. »

Vu l’état des choses, il n’aurait pas été aussi facile que Mme Nickleby paraissait le craindre, d’enlever un cheveu de la tête du gentleman, car cette partie de sa personne physique n’était pas celle qu’il présentait à ses agresseurs ; elle était, pour le moment, occupée, quelques pieds plus haut, dans la cheminée dont le tuyau n’était pas large. Jusque-là, il n’avait pas cessé de chanter sa complainte sur la banqueroute que la belle inconnue avait faite à sa foi ; mais ses croassements amoureux n’avaient plus la même vigueur, et il ruait des pieds avec une grande violence, comme si la respiration commençait à lui manquer ; M. Frank Cheeryble crut le moment venu de ne plus rien marchander : il le prit au cul et aux chausses avec une telle ardeur, qu’il le jeta tout palpitant sur le parquet, un peu plus vivement qu’il n’en avait eu le dessein.

« Oui, oui, dit Catherine aussitôt qu’elle put voir à plein le singulier visiteur qui faisait son entrée si brusquement dans la chambre, je le reconnais ; je vous en prie, ne lui faites pas de mal. S’est-il blessé ? j’espère que non… Faites-moi le plaisir de vous assurer s’il ne s’est point fait de mal.

— Lui ! point du tout, je vous assure, répliqua Frank tâtant avec précaution et presque avec tendresse le protégé de Catherine. Il ne s’est pas fait le moindre mal.

— Ne le laissez pas approcher, dit-elle en se reculant le plus loin qu’elle put.

— Non, non, n’ayez pas peur, répliqua Frank, il ne bougera pas de là ; vous voyez que je le tiens ; mais voulez-vous me permettre de vous demander ce que tout cela signifie, et si vous n’attendiez pas la visite de ce vieux monsieur ?

— Point du tout, dit Catherine ; par exemple ! Mais… quoique maman ne soit pas de mon avis là-dessus, je vous dirai que c’est un fou qui s’est échappé de la maison voisine et qui aura trouvé quelque occasion de venir se réfugier ici.