Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/253

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— Catherine, dit avec une dignité sévère Mme Nickleby blessée dans ses sentiments, vous m’étonnez.

— Ma chère maman… reprit Catherine avec l’air d’un doux reproche.

— Vous m’étonnez, répéta Mme Nickleby. Je vous assure, Catherine, que je ne me serais jamais attendue à vous voir prendre le parti des gens qui persécutent cet infortuné gentleman, quand vous savez vous-même les abominables desseins qu’ils ont formés pour s’emparer de ses biens, car c’est là le fin mot. Il serait plus charitable à vous, Catherine, de prier M. Linkinwater ou M. Cheeryble d’intervenir en sa faveur pour lui faire rendre justice. Vous ne devriez pas vous laisser ainsi influencer par vos sentiments personnels : ce n’est pas bien… pas bien du tout. Et moi donc, si je m’abandonnais à mes sentiments ! car enfin, s’il y a quelqu’un qui doive être indigné, n’est-ce pas moi ? moi qui ai tant de raison de l’être. Et cependant, en même temps, je ne voudrais pas pour tout au monde commettre une pareille injustice. Non, continua Mme Nickleby redressant fièrement la tête, qu’elle détournait néanmoins avec une modestie pleine de majesté, il me suffira pour me faire comprendre de ce gentleman, de lui dire, de lui répéter la réponse qu’il a déjà reçue de moi l’autre jour : il n’en recevra jamais d’autre. Je veux bien le croire égaré par un sentiment sincère quand il se met, pour l’amour de moi, dans des situations si effrayantes, mais je ne l’en prie pas moins d’avoir la bonté de s’en aller tout de suite, ou il me sera impossible de m’en taire à mon fils Nicolas. Je lui suis reconnaissante, très reconnaissante, mais je ne puis pas un instant prêter l’oreille à ses déclarations. C’est tout à fait impossible. »

Pendant le cours de cette longue tirade, le vieux gentleman, le nez et les joues embellis de larges tâches de suie dérobées à la cheminée qu’il venait de ramoner, était assis par terre, les bras croisés, regardant les spectateurs dans un profond silence et d’un air véritablement majestueux. Il ne paraissait pas avoir la moindre idée de tout ce que Mme Nickleby venait de débiter sur son compte ; seulement, quand elle eut achevé sa harangue, il lui fit l’honneur de la regarder longtemps en face, et de lui demander si elle avait fini.

« Je n’ai plus rien à ajouter, répliqua cette dame avec modestie, réellement je ne saurais plus que dire.

— Très bien ! dit le vieux gentleman en élevant la voix. Alors, garçon, apportez-moi une bouteille d’éclair, un verre propre et un tire-bouchon. »