Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

paysans les jours de marché pour faire peur aux cochons, aux vaches et autre bétail, lorsque ces animaux indociles veulent prendre à droite au lieu de tourner à gauche.

Mme Nickleby ne perdit pas son temps à répondre un seul mot, elle poussa un cri de surprise et d’horreur et s’évanouit.

« Laissez-moi soigner maman, dit promptement Catherine, ce ne sera rien, Dieu merci ! mais, je vous en prie, emmenez l’homme, vite qu’on l’emmène. »

Frank ne savait trop comment exécuter cet ordre. Heureusement il s’avisa d’un stratagème ingénieux qui réussit à merveille. Il pria miss la Creevy de marcher quelques pas en avant, bien sûr que le vieux gentleman ne manquerait pas de la suivre. En effet, il se mit à sa poursuite dans un ravissement bien flatteur pour cette demoiselle, mais toujours sous la garde vigilante de Tim Linkinwater d’un côté, et de Frank Cheeryble de l’autre.

« Catherine, murmura Mme Nickleby reprenant ses esprits aussitôt qu’il n’y eut plus personne pour la voir évanouie, est-il parti ? »

Quand elle fut assurée du fait :

« Ah ! Catherine, dit-elle, je ne me pardonnerai jamais, non jamais ! Ce pauvre gentleman a décidément perdu la tête, et c’est moi, malheureuse, qui en suis la cause.

— Vous, la cause ! dit Catherine dans un étonnement profond.

— Moi-même, ma chère enfant, répliqua Mme Nickleby avec un calme plein de désespoir. Vous l’avez vu l’autre jour, vous le voyez aujourd’hui : quel changement ! Je l’avais bien dit à votre frère, et ce n’est pas d’aujourd’hui que j’avais peur que mon refus ne fût un coup trop violent pour lui. Vous voyez en effet ce qui en est résulté. Je veux bien qu’il fût un peu exalté, mais que de raison, de sensibilité, d’honnêteté dans son langage, lorsque nous l’avons vu dans le jardin, vous vous rappelez ? Comparez cela avec les abominables sottises qu’il a dites ce soir et ses procédés insensés envers cette pauvre petite malheureuse vieille fille ; convenez qu’il n’y a personne qui puisse douter de sa folie.

— Personne, assurément, dit Catherine avec douceur.

— Ni moi non plus, lui répondit sa mère ; mais au moins, si j’en ai été cause sans le vouloir, j’ai la satisfaction de penser que je ne mérite aucun reproche. Je l’ai dit à Nicolas ; je lui ai dit : mon cher Nicolas, de la prudence ; n’allons pas trop vite ; c’est à peine s’il m’écoutait. Si l’on avait traité les choses en