Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/255

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reine Pomaré ? non ; chez Mme Roland qui prend tous les matins un bain gratis dans le Kalydor ? non. Mettez-les toutes ensemble, confondues avec les trois Grâces, les neuf Muses et les quatorze pâtissières de la rue d’Oxford, et vous n’en ferez pas une femme aussi jolie de moitié. Ouais ! je vous en défie. »

Après ce dithyrambe, le vieux gentleman fit claquer ses doigts plus de vingt fois, et s’arrêta à contempler en extase les charmes de miss la Creevy. Mme Nickleby profita de cet intervalle favorable pour entrer immédiatement en matière, non pas cependant sans avoir fait précéder ses explications d’une petite toux en manière de préface.

« Certes, je suis heureuse, en pareille circonstance, de voir qu’on en prenne une autre pour moi : c’est une grande consolation dans l’embarras où je me trouverais sans cela. Et je dois dire que c’est la première fois que j’ai été l’objet d’une telle méprise, excepté pourtant quand on m’a prise pour ma fille Catherine, ce qui n’est pas rare. Dans ce dernier cas, il fallait que les gens fussent bien simples pour se tromper de la sorte, mais enfin ils me prenaient pour elle, et, comme vous pensez bien, ce n’était pas ma faute. Ce serait aussi par trop pénible qu’on me rendît responsable de ces erreurs-là. Mais ici, je me reprocherais toujours d’avoir souffert que qui que ce fût, particulièrement une personne à laquelle j’ai tant d’obligations, éprouvât des contrariétés pour moi, et je crois de mon devoir de déclarer au gentleman qu’il se trompe, que c’est moi la dame dont je ne sais quel impertinent lui avait dit qu’elle était la nièce du comité de pavage général, et que c’est moi qui le prie et le supplie de se retirer tranquillement ne fût-ce que pour… (ici Mme Nickleby sourit et rougit à la fois), pour me faire plaisir. » On devait s’attendre à voir le vieux gentleman touché jusqu’au fond de l’âme de la délicatesse de cet appel généreux à sa sensibilité. C’était bien le moins qu’il y répondît par quelque politesse. Quel fut donc le choc affreux qui vint frapper Mme Nickleby, lorsque, s’adressant à elle en personne, de la manière la moins équivoque, il répliqua d’une voix glapissante : « Arrière, vieille chatte !

— Monsieur ! cria Mme Nickleby presque défaillante.

— Vieille chatte ! » car il osa le répéter avec les noms de toutes les chattes connues, depuis Minette et Griselide jusqu’à Puss, Tit et Grimalkin. « Pchi ! Pchi ! » en même temps il sifflait entre ses dents comme un matou effarouché, faisait avec les bras des moulinets effrayants, tantôt en s’approchant avec fureur, tantôt en reculant avec frayeur devant Mme Nickleby, figurant à peu près cette espèce de danse sauvage qu’on voit représenter aux