Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/258

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son cœur, Catherine n’en fut pas moins alarmée de penser qu’il pourrait deviner ses pensées. Nicolas s’en aperçut et changea en riant de sujet pour parler de la maison. C’est ainsi qu’il vint à savoir, petit à petit, en montant l’escalier avec elle, que Smike avait passé la soirée tout seul ; petit à petit, car c’était encore un sujet dont Catherine paraissait s’entretenir avec quelque répugnance.

« Le pauvre garçon, dit Nicolas en donnant un petit coup à sa porte ; qu’est-ce que tout cela veut donc dire ? »

Catherine était suspendue au bras de son frère. La porte s’ouvrit trop brusquement pour qu’elle eût le temps de le quitter, avant que Smike, pâle, hagard, tout habillé, se trouvât face à face avec eux.

« Vous n’étiez donc pas allé vous coucher ? dit Nicolas.

— N…on, fut toute sa réponse.

— Pourquoi non ? dit Nicolas retenant le bras de sa sœur qui faisait un effort pour se retirer.

— Je n’aurais pas pu dormir, dit Smike serrant la main que lui présentait son ami.

— Vous n’êtes donc pas bien ? » répliqua Nicolas.

Smike s’empressa de répondre qu’il était mieux au contraire, bien mieux.

« Alors, pourquoi donc vous abandonner à ces accès de mélancolie ? lui demanda Nicolas avec douceur ; ou pourquoi ne pas nous en dire au moins la cause ? Vous n’étiez pas comme ça, Smike !

— C’est vrai, je m’en aperçois moi-même, répliqua-t-il. Je vous en dirai la raison quelque jour, mais pas aujourd’hui. Je m’en veux moi-même : vous êtes tous si bons, si bienveillants pour moi ; mais je ne peux pas m’en empêcher, j’ai le cœur si plein… Vous ne savez pas tout ce que j’ai dans le cœur ! »

Il tordit la main de Nicolas avant de la lui rendre, et, jetant un coup d’œil attendri sur le frère et la sœur, debout devant lui et se tenant par le bras, comme s’il y avait dans l’image de leur mutuelle affection quelque chose qui touchait profondément son âme, il se retira dans sa chambre, où ce fut bientôt la seule créature qui veillât encore sous ce toit paisible.