Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/267

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et un air de bonne humeur. Je ne puis pas mieux dire : je ne vous demande rien, je vous laisse libre, faites comme moi. Je ne conseillerais à personne de venir me contrarier dans l’exécution de mes projets ; j’espère que vous me connaissez assez pour n’en rien faire. Le fait est, à ce que je vois, que vous avez cru devoir me donner un avis ; je ne doute pas de vos intentions ; elles peuvent être bonnes, mais l’avis est loin de l’être, et je n’en veux pas. À présent, s’il vous plaît, nous allons retourner à ma voiture, je ne m’amuse pas du tout ici, bien au contraire ; si nous poussions plus loin cette conversation, nous pourrions bien en venir à une querelle, ce qui ne serait pas une preuve de sagesse, ni de votre part, ni de la mienne. »

Là-dessus, sans attendre d’autre observation, sir Mulberry Hawk se mit à bâiller et s’éloigna tout tranquillement.

C’était de sa part une marque de tact et la preuve qu’il connaissait bien le caractère du jeune lord, de le traiter comme il faisait. Sir Mulberry avait vu clairement que c’était le moment ou jamais d’établir solidement sa domination. Il savait que, dès l’instant où il s’emporterait, le jeune homme s’emporterait aussi, et, bien des fois, quand il s’était présenté quelque circonstance de nature à diminuer son influence, il s’était bien trouvé, pour mieux l’assurer, d’adopter ce ton rassis et laconique, et, dans le cas présent, il ne doutait pas que le succès ne répondît à sa confiance.

Mais il lui en coûtait de dissimuler ainsi sa colère sous des dehors insouciants et sous cet air d’indifférence que son habile expérience lui faisait juger nécessaire ; aussi, dans son for intérieur, il se promettait bien de faire payer cher cette pénible contrainte à Nicolas, en ajoutant à la sévérité de sa vengeance quelque dédommagement de plus pour cette mortification nouvelle. Un jour ou l’autre, de manière ou d’autre, Nicolas n’en serait pas le bon marchand. Quant au jeune lord, tant qu’il n’avait été qu’un instrument passif dans ses mains, sir Mulberry n’avait eu pour lui que du mépris ; mais aujourd’hui, ce n’était plus du mépris, c’était un commencement de haine en le voyant assez osé pour se permettre des opinions différentes de la sienne, et même pour affecter avec lui un ton de hauteur et de supériorité.

Il ne savait que trop combien il dépendait, dans le sens le plus vil et le plus lâche du mot, de ce jeune écervelé, et l’humiliation qu’il lui avait aujourd’hui infligée ne lui en semblait que plus amère. Aussi, du moment qu’il commença à le haïr, il mesura sa haine, c’est assez l’ordinaire, sur l’étendue même des