Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/268

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torts que l’autre pouvait avoir à lui reprocher. Qu’on n’oublie pas que sir Mulberry Hawk avait dupé, surpris, trompé son élève de toutes les manières, et l’on ne sera pas étonné qu’en commençant à le détester, il le détestât à l’instant même de tout son cœur.

De l’autre côté, le jeune lord avait pensé (chose rare chez lui !) et même sérieusement à l’affaire de Nicolas et à toutes les circonstances préliminaires. Disons à son honneur, qu’après mûre réflexion, il avait pris une résolution honnête et courageuse. La conduite grossière et insultante de sir Mulberry dans cette occasion avait produit une impression profonde sur son esprit. Il n’avait pu non plus s’empêcher de concevoir, depuis quelque temps, le soupçon trop naturel que son mentor, en l’engageant dans une poursuite amoureuse contre Mlle Nickleby, travaillait pour son propre compte. Il était véritablement honteux du rôle qu’on lui avait fait jouer dans cette affaire, et profondément mortifié par un certain pressentiment qu’il avait été pris pour dupe. Pendant le temps qu’ils venaient de passer loin du monde, il avait eu tout le loisir nécessaire pour réfléchir là-dessus à son aise, et, toutes les fois que l’indolence naturelle de son caractère lui avait permis de le faire, il n’en avait pas manqué l’occasion. Nous passons quelques autres circonstances qui, pour être légères, n’en avaient pas moins contribué à confirmer ses soupçons. En un mot, il ne fallait plus qu’un souffle pour allumer sa colère contre sir Mulberry. C’est le dédain et le ton insolent de celui-ci dans leur dernière conversation, la seule qu’ils eussent jamais eue sur ce sujet depuis l’événement, qui précipita la crise.

Pour le moment, ils allèrent rejoindre leur société, mais chacun d’eux emportait dans son cœur un germe de haine, qui devait bientôt éclater contre l’autre. Le jeune homme, en particulier, était poursuivi par les menaces de vengeance rancunière prononcées contre Nicolas, et bien décidé à l’empêcher, s’il pouvait, par quelque mesure énergique ; mais, le pis de l’affaire, c’est que sir Mulberry, tout fier de l’avoir réduit au silence, ne put s’empêcher, dans l’ivresse de son triomphe, de poursuivre ses prétendus avantages. Il y avait là M. Pyke, M. Pluck, le colonel Chawser et d’autres gentlemen de la même clique, et sir Mulberry attachait une grande importance à leur faire voir qu’il n’avait rien perdu de son influence. Dans le commencement, le jeune lord se borna à rêver silencieusement aux mesures qu’il devait prendre pour briser immédiatement toute relation avec son ancien ami ; mais, petit à petit, le rouge lui