Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/274

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ne le releva plus jusqu’au signal donné ; le coup partit aussitôt.

Son adversaire avait tiré presque en même temps. À l’instant même le jeune lord tourna vivement la tête, fixa sur son meurtrier un regard affreux, et, sans gémir, sans broncher, tomba roide mort.

« Il est tué ! cria Westwood, qui était accouru avec l’autre témoin, et se tenait un genou en terre près du cadavre.

— Je m’en lave les mains, dit sir Mulberry. C’est lui qui l’a voulu ; il m’y a forcé malgré moi.

— Capitaine Adams, cria Westwood à la hâte, je vous prends à témoin que tout s’est passé dans les règles. Hawk, nous n’avons pas un moment à perdre. Il nous faut partir à l’instant, et nous dépêcher de passer la Manche. L’affaire n’est déjà pas bonne, mais elle pourrait devenir encore plus mauvaise, si nous tardons un moment. Adams, je vous conseille de veiller à votre propre sûreté, et de ne pas rester ici. Vous savez, les vivants avant les morts. Au revoir. »

À ces mots, il saisit le bras de sir Mulberry et l’entraîna sur ses pas. Le capitaine Adams ne resta qu’un instant, le temps de se convaincre que l’accident était sans remède, prit sa course dans la même direction, pour s’entendre avec son domestique sur les moyens d’enlever le corps et d’assurer en même temps sa retraite.

Ainsi périt lord Frédérick Verisopht, de la main même qu’il avait remplie de ses dons et qu’il avait étreinte avec amitié plus de mille fois ; victime de l’homme sans lequel, après une vie heureuse et longue peut-être, il serait mort entouré, à son chevet, des figures bénies de ses chers enfants.

Le soleil se levait fièrement à l’horizon dans toute sa majesté : la Tamise, glorieuse, suivait son cours sinueux ; les feuilles s’agitaient avec un bruit léger, au souffle de la brise. Les oiseaux versaient dans l’air, du sein de chaque arbre au vert feuillage, leurs chants joyeux ; le papillon, créature d’un jour, se balançait sur ses petites ailes : le jour éveillait partout le mouvement et la lumière. Seulement, au milieu de tout cela, sur le gazon qu’il foulait de son poids et dont chaque brin contenait mille vies imperceptibles, était étendu l’homme mort, la face immobile et roide, tournée vers le ciel.