Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/290

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les vents les plus favorables, l’aller et le retour seuls nous prendraient trois fois vingt-quatre heures.

— Et leur neveu, dit Newman, ou leur vieux caissier ?

— Et que feraient-ils de plus que moi ? répliqua Nicolas ; au contraire, c’est avec eux surtout qu’on m’a recommandé le silence le plus discret sur ce sujet. Quelle excuse pourrais-je donner pour avoir trahi la confiance que l’on me montre, lorsqu’il n’y a plus qu’un miracle qui puisse sauver la victime ?

— Réfléchissez, dit Newman avec insistance, n’y a-t-il pas quelque moyen ?

— Non, dit Nicolas dans un profond abattement, non : le père presse le mariage…, la fille y consent, les deux démons qui la poursuivent la tiennent maintenant dans leurs griffes ; ils ont pour eux la loi, l’autorité, la force, l’argent, le crédit. Quel espoir voulez-vous qu’il me reste ?

— L’espoir jusqu’au tombeau ! dit Newman en lui donnant une tape d’encouragement sur le dos, toujours l’espoir ! c’est un bon et fidèle ami que l’espoir. Ne l’abandonnez pas, si vous ne voulez pas qu’il vous abandonne. Vous m’entendez bien, Nicolas, cela ne sert à rien de se désespérer ; il faut remuer ciel et terre. C’est toujours quelque chose que de pouvoir se dire qu’on a fait tout ce qu’on pouvait ; mais surtout ne jetez pas le manche après la cognée, ou ce ne sera plus la peine de rien faire ; l’espoir ! l’espoir jusqu’au tombeau ! »

Nicolas avait besoin d’encouragements ; la nouvelle qu’il venait de recevoir de la conjuration des deux usuriers était venue le frapper comme un coup de foudre ; le peu de temps qui lui restait pour faire quelques efforts contraires, la probabilité ou plutôt la certitude qu’il ne fallait plus que quelques heures pour lui enlever Madeleine, pour la condamner à un malheur affreux, qui sait ? peut-être même à une mort prématurée, tout se réunissait pour le terrasser et l’anéantir. Il n’avait pas formé une seule espérance, il n’en avait pas couvé, sans le savoir, une seule dans son cœur pour le succès de ses amours, qu’il ne vît en ce moment tomber à ses pieds morte et détruite à jamais ; il n’y avait pas un charme dont sa mémoire ou son imagination eût entouré son idole, qui ne vînt se représenter à lui dans son angoisse pour augmenter sa peine et ajouter une nouvelle amertume à son désespoir. Il n’y avait pas un sentiment de sympathie pour le triste sort de sa jeune amie ou d’admiration pour son héroïsme et son courage qui ne le fît trembler d’indignation dans tous ses membres et qui ne gonflât son cœur jusqu’à en rompre tous les vaisseaux.